vendredi 26 novembre 2010

Un roman russe, d'Emmanuel Carrère



"Longtemps j'ai aimé cela. J'ai joui de souffrir d'une manière qui m'était singulière, et faisait de moi un écrivain. Aujourd'hui, je n'en veux plus.Je ne supporte plus d'être prisonnier de ce scénario morne et immuable, quelque soit le point de départ de me retrouver à tisser une histoire de folie, de gel, d'enfermement, à dessiner le plan du piège qui doit me broyer."


Un ancien combattant hongrois retrouvé dans un hôpital russe 50 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, un reportage en Russie sur les trace de ses origines, une histoire d'amour en dents de scie, un retour pénible sur son histoire familiale : le roman d'Emmanuel Carrère ne suit pas une ligne toute tracée, mais emprunte des sentiers alambiqués et douloureux pour faire partager une année charnière dans sa vie.

Car il s'agit bien de cela dans Un roman russe : en dehors de l'histoire des destins croisés par l'auteur, c'est celle de sa propre recherche personnelle qui est tracée plus ou moins en filigrane . Hautement autobiographique, le roman d'Emmanuel Carrère effectue un retour au source en revenant au pays de sa mère, quitte à réveiller des fantômes que d'aucuns auraient préférer laisser dormir dans l'oubli et la honte. Obsessions, humiliations, espoirs et mémoire individuelle et collective tissent la toile de fond de ce récit qui nous est livré sans fards.

Intimiste, sans concession, cruel, fluide : le roman russe d'Emmanuel Carrère touche encore une fois là où ça fait mal, et ça fait du bien (à son lecteur).

Un roman russe, d'Emmanuel Carrère, éd POL, 2007

vendredi 12 novembre 2010

Un aller simple, de Didier Van Cauwelaert



" J'ai commencé dans la vie comme enfant trouvé par erreur. Volé avec la voiture en fait. J'étais garé sur les clous et, pendant les années qui ont suivi, Mamita, quand je ne finissais pas mon assiette, disait que la fourrière allait venir me chercher. Alors je mangeais trop vite, et après je rendais tout, mais dans un sens c'était mieux ; ça m'évitait de prendre du poids. J'étais l'adopté, je restais à ma place."


J'avais gardé de ce livre un souvenir ému, et c'est non sans appréhension que j'ai entamé sa relecture il y a peu.
Les aventures d'Aziz, trouvé bébé dans une voiture et plus ou moins recueilli chez des gitans marseillais allait-elle me faire autant rire ? Sa rencontre avec Jean-Pierre, un attaché humanitaire dépressif chargé de le ramener dans son pays d'origine dans le cadre d'une politique anti-immigration allait-elle autant me toucher ?
Impression mitigée.
On se délecte des premières pages, celles retraçant la jeunesse d'Aziz, ses après-midis d'amour dans les calanques de Marseille, ses vols d'autoradio dans les quartiers de Marseille Nord, l'Atlas dans lequel il se plonge avec délice pour étudier les légendes du monde. Le narrateur est ce anti-héros atypique, qui nous régale de sa verve naïve et enfantine, cruelle sans le vouloir, doucement ironique.
Puis tout bascule. Une toute nouvelle politique d'immigration est lancée en grande pompe devant les médias du pays : on souhaite ramener les étrangers dans leur pays, et les aider à s'y réintégrer, sous l'oeil bienveillant des caméras. Manque de chance, cela tombe sur Aziz, le plus français et gitan des arabes, qui a le malheur d'avoir en poche des faux papiers qui le disent marocains, lui dont la patrie est Marseille, ville qu'il aime d'amour... On lui colle un attaché humanitaire, Jean-Pierre, col blanc qui ne digère pas sa récente rupture avec Clémentine, et qui a pour mission de l'emmener au Maroc.
A partir de là, les deux hommes partent en quête de l'Atlas, prétexte à un voyage initiatique qui sonne faux.

Un aller simple soulève la question de l'identité, celle que l'on se construit et celle que l'on nous colle comme une étiquette. Et sur ce point, aucune déception, le livre est bien fidèle à mon souvenir : poignant, sensible, vrai. L'auteur sait parfaitement restituer des sentiments délicats comme la culpabilité, la honte, l'incertitude. Malheureusement, à cette deuxième lecture (près de dix ans après la première) le livre me parait moins exaltant, plus facile, peut-être pas assez abouti, un peu court en somme.
Reste que le sujet est d'une modernité étonnante, le thème de la peur de l'autre et de l'étranger soulève d'amers relents d'identité nationale.

Un aller simple, de Didier Van Cauwelaert, 1994