"Je ne veux pas qu'on m'aime mais je veux quand même"
Joann Sfar nous avertit au début de son livre : "dans l'idéal, j'aimerais bien qu'on voit d'abord le film avant de plonger le nez dans ces carnets. je crois que ces dessins n'ont d'intérêt que dans le rapport dialectique qu'ils entretiennent avec le film".
Et en effet, pour ne pas se perdre dans ce pavé de plus de 400 pages, le lecteur a plutôt intérêt à avoir vu le film "Gainsbourg Vie héroïque" au préalable. Car Gainsbourg hors champ, ce n'est pas vraiment une bande dessinée. Ce n'est pas non plus un simple carnet de croquis ou un story board : c'est un savant mélange de tout ça, brouillon, coloré, poétique.
Nous plongeons dans un univers de planches désordonnées, aux formats variables, et on y ressent une vraie liberté. Le carnet de route de Joann sfar est baigné de poésie, de sensibilité, et l'on y côtoie les univers de deux artistes : Serge Gainsbourg et Joann Sfar. La cohabitation est réussie. En parcourant les pages, le lecteur se sent privilégié de pouvoir observer le processus de création du film, de se voir livrer brutes et sans détours les réflexions d'un artiste sur un autre artiste, de voir se confronter les questions d'un dessinateur face au cinéma. On y trouve en vrac des scènes qui ne seront pas tournées, des citations du grand Serge, des prises de note à la va vite, des portraits, des croquis, des impressions...
On voit Sfar travailler les détails : costumes, ambiances, textes, dialogues. Gainsbourg hors champ met sur papier les coulisses de l'écran. Le lecteur a le droit de pénétrer l'esprit de Sfar le réalisateur et c'est une sensation grisante. On partage avec lui la confusion naissante qui opère quand Serge, Jane et les autres commencent à se fondre dans les acteurs qui les incarnent (on retiendra surtout l'impressionnant Eric Elmosnino et la touchante Lucy Gordon). On y comprend les questions posées par le passage de la BD au cinéma : quelle complémentarité entre le septième et le neuvième art, quelles accointances ?
Les planches se succèdent, inégales, dans un fouillis d'aquarelles, de traits noirs, de croquis et de textes. On apprécie le trait épais et forcé de certains dessins, leur force. Quelques pages font penser à des planches de tendances, où les couleurs en vrac et les mots dispersés tentent de définir une ambiance.
Attention cependant : Gainsbourg hors champ n'est pas à lire d'une traite, on frôlerait facilement d'indigestion. Non, il convient plutôt de le feuilleter, sans s'imposer une lecture suivie, mais en s'octroyant la liberté d'aller d'une scène à une autre, de revivre certains moments du film, ou d'en étudier la genèse. Et pour ne rien gâcher, le livre est vraiment un très bel objet.
Gainsbourg (hors champ), de Joann Sfar, éd Dargaud, 2009
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