mercredi 26 mai 2010

Dans ses yeux, de Juan José Campanella




"N’y pensez plus, sinon vous aurez mille passés et pas de futur"


Ah ce qu'il peut s'en passer des choses dans un regard! Un amour sourd inavoué, une pulsion meurtrière, une demande muette de passage à l'acte... Le film qui a reçu l'Oscar du meilleur film étranger plonge dans les yeux de ses protagonistes pour en tirer la substance la plus impalpable : la vérité enfouie en profondeur, que ce soit celle que l'on attend ou celle que l'on redoute.

Dans ses yeux c'est un scénario solidement ficelé, fait d'allers et retours entre le passé et le présent de Benjamin Esposito. Arrivé à la retraite, ce juge argentin décide d'écrire un livre pour revenir sur l'une des affaires qui l'a le plus marqué près d'un quart de siècle plus tôt : le viol et le meurtre d'une jeune et ravissante institutrice en 1974. Cette affaire devient la clef de voûte de son histoire personnelle : sa carrière, ses amitiés et son amour inavoué pour la belle Irene, sa supérieure hiérarchique, seront profondément influencés par l'enquête menée avec ténacité dans un système pourri par la corruption et l'indifférence. Car Dans ses yeux c'est aussi le retour sur une époque particulièrement sombre pour l'Argentine, et le film prend ainsi par moment des allures de thriller politique.

Esthétiquement très beau, le film jongle entre les genres : tour à tour policier, comédie, drame historique, il joue sur tous les tableaux et malheureusement en perd souvent son souffle. L'irruption de scènes très drôles et cocasses casse ainsi régulièrement le rythme du récit qui aurait gagné à être plus effréné. La balance entre les genres manque parfois d'équilibre, dommage, car tous les ingrédients sont réunis pour un bon film.
Autre reproche que l'on peut faire à Dans ses yeux : si les thèmes de l'obsession, de la frustration, du poids du passé et de la mémoire sont admirablement abordés, ils le sont peut-être parfois avec une ostentation trop évidente. Campanella manque parfois de nuance, et amène son propos de façon trop brute là où de simples suggestions auraient suffit.
Mais sur le reste - le jeu des acteurs, la mise en scène, l'image - la subtilité est au rendez-vous. Le personnage de Benjamin Esposito est particulièrement touchant : sa difficulté à passer à l'acte, son incapacité à lire dans les yeux d'Irene un amour qui ne demande qu'à être pris, sa hantise d'avoir raté sa vie, et son questionnement sans fin sur la vengeance, l'oubli, l'acceptation, font de lui un personnage profondément humain, un antihéros héroïque comme on les aime.
Si je ne comprends pas vraiment la critique dithyrambique qu'a reçu ce film, cela reste donc tout de même un beau moment de cinéma.

Dans ses yeux, de Juan José Campanella, 2010

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