mardi 30 mars 2010

L'écrivain et l'autre, de Carlos Liscano




"Depuis que je me connais, j’ai toujours voulu être écrivain et durant de nombreuses années j’ai fait tout mon possible pour ne pas l’être. Je pensais que si j’arrivais à devenir écrivain, tout trouverait sa place et que moi, je trouverais la paix. Un jour, j’ai senti que j’en avais fait suffisamment pour me considérer comme écrivain et je me suis rendu compte que cela n’allait pas. Que la recherche n’était pas terminée, qu’il y avait une chose que je n’avais pas encore trouvée. Ecrire avait été un prétexte pour être, mais ce n’était pas suffisant."


Hier soir, dans l'émission "l'humeur vagabonde" de Kathleen Evin sur France Inter, émission toujours très bien réalisée, était diffusée une très belle interview de l'écrivain uruguayen Carlos Liscano. Né en 1949 à Montevideo, il est condamné à l'âge de 23 ans par le régime militaire et passera plus de 13 années en prison, après 6 mois de torture. C'est pour survivre à la barbarie, à l'isolement, à la folie, qu'il commencera à écrire. D'abord des bribes de roman qu'il élabore dans sa tête, avant de pouvoir poser les mots sur des petits bouts de papier. C'est un ancien détenu libéré avant lui qui les fera passer à l'extérieur et fera ainsi publier son premier roman alors que Liscano est encore emprisonné.

Au début de l'émission, est lu un extrait très fort, très beau, qui dévoile le questionnement de Liscano sur la condition d'écrivain et le rapport à l'écriture. Une émission à réécouter, avec un écrivain touchant, qui nous assure qu'au final, "vivre vaut presque toujours la peine".

Podcast de l'émission ici

L'écrivain et l'autre, de Carlos Liscano, éd Belfond, 2010

vendredi 26 mars 2010

Sévère, de Régis Jauffret



" Je l'ai rencontré un soir de printemps. Je suis devenue sa maîtresse. Je lui ai offert la combinaison en latex qu'il portait le jour de sa mort. Je lui ai servi de secrétaire sexuelle. Il m'a initiée au maniement des armes. Il m'a fait cadeau d'un revolver. Je lui ai extorqué un million de dollars. Il me l'a repris. Je l'ai abattu d'une balle entre les deux yeux. Il est tombé de la chaise où je l'avais attaché. Il respirait encore. Je l'ai achevé."


Le dernier roman de Régis Jauffret, Lacrimosa, était déjà un roman puissant, bouleversant, très dur. On retrouve dans Sévère cette même écriture méticuleuse et tortueuse, un style vif, très imagé. Outre la plume de Jauffret que l'on retrouve avec délectation, ce sont ses considérations sur le rapport entre réel et fiction qui nous rattrapent. Il joue sur les deux tableaux avec virtuosité, et dès la préface nous met en garde sur la fiction. Si "elle éclaire comme une torche" la réalité, "la fiction ment". Une précision nécessaire, quand on sait que Sévère relate un fait divers sordide, l'assassinat du banquier Edouard Stern par sa maîtresse Cécile Brossard. Régis Jauffret se dédouane de toute attaque en interpellant le lecteur : "ne croyez pas que cette histoire est réelle, c'est moi qui l'ait inventée".

C'est ainsi l'imagination qui prend le dessus, et l'auteur rentre dans la peau de la meurtrière pour nous raconter sa relation destructrice avec son puissant amant. La narratrice évoque ainsi dans un flot de paroles dérangées leurs jeux sexuels, les rapports de force et de soumission qu'elle entretenait avec l'homme qu'elle tuera de quatre balles. Le corps sera retrouvé dans une chambre d'hôtel, compressé dans une combinaison intégrale en latex de couleur chair, gonflé de sang.

Dans Sévère, tout est mensonge. La frontière entre réalité et imagination est floutée, le lecteur s'en remet à la narratrice, se perd avec elle dans les humiliations, les frustrations, l'aveuglement que provoquent un bain mouvementé d'argent, de sexe et de pouvoir.

On ne cherche pas à comprendre, on se laisse manipuler par l'esprit vagabond et dissimulateur de la narratrice, une femme perdue, "secrétaire sexuelle" de son amant, victime et bourreau à la fois. On ne sait jamais vraiment qui elle est, et le fait que Jauffret porte sa voix nous égare d'autant plus. Intelligente ? Affabulatrice ? Vénale ? Amoureuse irraisonnable ? Sans savoir démêler le vrai du faux, le lecteur avance dans l'intrigue dont il connaît la fin. C'est là aussi la force de ce roman : le lecteur se moque de connaître la vérité, et peu importe le dénouement final puisque la narratrice le dit elle-même "c'est comme si cette histoire était arrivée à une autre".

L'ambiance est glauque, un peu écoeurante, et l'on referme la dernière page essoufflé, embarrassé, avec ce sentiment d'avoir été le voyeur d'une histoire que l'on ne comprendra pas entièrement.

Sévère, de Régis Jauffret, éd du Seuil, 2010

lundi 22 mars 2010

Les Aventures d'Olivier Twist, de Charles Dickens



"Comment va ta mère, hospiceux ? dit-il
- Elle est morte, répondit Olivier ; ne te mêle pas de me dire quoique ce soit sur elle !
(...)
- De quoi qu'elle est morte, hospiceux ? demanda Noé.
- D'un coeur brisé, à ce que m'ont dit certaines des vieilles infirmières, répondit Olivier, plutôt comme s'il se parlait à lui-même que s'il s'adressait à Noé. Je crois savoir ce que ce doit être de mourir de ça ! "


Si l'on aime les histoires d'injustice, de misère, de destin qui s'acharne et l'ironie malsaine, alors il y a de fortes chances d'apprécier Les Aventures d'Olivier Twist. Ce petit garçon, tout le monde le connaît. Né dans un faubourg sale de l'Angleterre du XIXème siècle, orphelin, élevé dans un hospice miséreux, affamé, battu, il s'enfuit pour rejoindre Londres où il rebondit de malheurs en malheurs, tout voué qu'il est à faire de mauvaises rencontres. Cependant, on se doute que l'arrivée de Monsieur Brownlow dans la vie de ce jeune héros lui apportera une fin plus heureuse.

Le ton du roman, loin d'être simplement misérabiliste, joue sur un style ironique et un recul narratif, au travers desquels le lecteur est pris en aparté par un Dickens qui s'amuse à dérouler les aventures du pauvre Olivier avec une jubilation malsaine. On a du mal au bout d'un moment à s'investir dans l'histoire, avec ces rebondissements à répétition et des personnages peu attachants. De plus, les relents d'antisémitisme et une conception très manichéenne des personnages gâchent un plaisir déjà diffus.

Le style a indéniablement vieilli, et lorsque l'on termine le livre, on ne peut s'empêcher de penser que Les Aventures d'Olivier Twist fait partie de ces classiques démodés.


Les aventures d'Olivier Twist, de Charles Dickens, 1839

mardi 16 mars 2010

Le Festival de la couille, et autres histoires vraies, de Chuck Palahniuk



"Sur un chemin de terre qui longe la propriété, les bikers participent au concours de morsure de couille. Assise à l'arrière de la moto, une fille doit réussir à planter ses dents dans un testicule de taureau qui pend sur le parcours au moment ou l'engin passe dessous à toute vitesse"


Ce titre ! Une ode à la poésie des partouzeurs... Il va sans dire qu'il est pour beaucoup dans le choix de ce recueil de nouvelles : on y pressent toute la folie, tous les délurés que l'on va y croiser, tout le non politiquement correct. Et en effet, ces vingt-deux nouvelles sont une chronique drôle et barrée des Etats-Unis, une galerie de portraits touchants, choquants, tordus. Comme l'annonce Chuck Palahniuk dans sa préface : "Tous les récits de ce livre concernent nos rapports avec autrui. Les miens avec les gens. Ou ceux des gens avec les autres".

Ce qui fait la force de ce livre, c'est de savoir que tout y est vrai. Ou presque. Des lutteurs aux écrivains ratés, des drogués aux partouzeurs... On se doute que ces histoires sont inspirées de vraies rencontres, à la tendresse et l'humanisme qui s'en dégagent : l'auteur ne juge pas, il pompe la réalité, la remet sur le papier, et nous la présente dans toute sa folie, son absurdité, ses failles et ses passions. Ainsi le festival de la couille, ou Testy Festy existe bel et bien. Le constucteur de château fort Roger DeClement également.

Exhibitionnisme, pudeur, excès, subversion : les personnages délurés du Festival de la couille participent à brosser la description d'une Amérique d'illuminés.
Et Palahniuk nous prouve que la réalité peut être plus imaginative que la fiction : plus forte, puissante, riche, tordue. Il pousse sa réflexion sur la position de l'écrivain, son rôle d'éponge, de pompeur de vies, de parasite d'émotions. C'est Palahniuk qui se dessine en filigrane au fur er à mesure que les nouvelles défilent. En entrant dans l'envers de ses romans, le lecteur se rapproche de l'auteur, une expérience trouble et fascinante.

Et l'écriture ? Dynamique, franche, crue, rythmée. On ne s'en lasse pas.

Le festival de la couille et autres histoires vraies, de Chuck Palahniuk, éd Denoël, 2005

mercredi 10 mars 2010

Ne jouez pas avec le feu, de Peter Robinson



"J'avais avalé mon troisième somnifère et un second verre de whisky quand il frappa à la porte"


Une fois n'est pas coutume, un polar.
Deux péniches prennent feu en pleine nuit sur les bords du Canal au sud d'Eastvale. On y retrouve le corps carbonisé d'une jeune héroïnomane et d'un artiste raté.
Accident ? Acte d'un pyromane ? Ou crime délibéré ? L'inspecteur Banks opte pour la troisième piste, poussé par un pressentiment et son flair de vieux routier de la police.
On plonge sans réticence aucune dans cet univers de polar parfaitement maîtrisé : brumes froides de l'hiver, cadavres carbonisés, trafic d'art, analyses de la police scientifique... Les personnages respectent les canons du genre : la brigadière sexy et indépendante, femme libre cachant une blessure ancienne; l'ex femme de l'inspecteur principal; le suspect un peu trop idéal, et surtout, l'inspecteur Banks. Amateur de musique classique et de whisky pur malt, divorcé et marié à son métier, séducteur taciturne, fonctionnant au flair et marqué par ses années passées à lutter contre les criminels.
L'intrigue est un peu trop facile cependant, le lecteur devine sans trop de difficultés et très rapidement dans l'histoire, qui est l'auteur des crimes, malgré les pistes un peu farfelues dans lesquelles l'auteur tente de nous perdre.
Mais malgré tout l'équation fonctionne bien, et ce polar se lit avec un plaisir non caché.

Ne jouez pas avec le feu, de Peter Robinson, éd Albin Michel, 2004

lundi 8 mars 2010

Marguerite Duras et la journée de la femme.



"Je vois la femme dans une situation limite, intenable, dansant sur un fil au dessus de la mort"


A l'occasion de la journée de la femme, le Conseil Régional d'Ile de France organisait une grande journée de débats et conférences sur le thème de l'invisibilité de la femme. L'après-midi, la compagnie La Louve aimantée présentait une lecture-spectacle sur le thème de l’égalité femmes-hommes : "Liberté, égalité, féminité !". Voici un extrait choisi, parmi les nombreux textes de Marie NDiaye, Hubertine Auclert ou encore Yasmine Char qui ont été récités avec beaucoup de vergue et de conviction :

" En une matinée de cinq heures, elle fait le petit déjeuner des enfants, elle les lave, elle les habille, elle nettoie sa maison, elle fait les lits, elle fait sa propre toilette, elle s’habille, elle va faire les courses, elle fait la cuisine, elle met la table, en vingt minutes elle fait manger les enfants, elle hurle contre, elle les ramène à l’école, elle fait la vaisselle, elle fait la lessive et le reste, et le reste. Peut-être à trois heures et demie pourrait-elle pendant une demie heure lire un journal. Une bonne mère de famille pour les hommes c’est quand la femme fait de cette discontinuité de son temps une continuité silencieuse et inapparente. Alors l’homme est content. Ca va bien dans sa maison. L’homme du moyen-âge. L’homme de la révolution. L’homme de 2010. Avant c’était donc ainsi. Avant, de quelque côté que je me tourne, quelque soit le siècle dans l’histoire du monde, je vois la femme dans une situation limite, intenable, dansant sur un fil au dessus de la mort. Maintenant, de quelque côté de mon temps que je me tienne, je vois la starlette des offices médiatiques, de tourisme ou de banque, cette première de la classe pimpante et inlassable, au courant de tout de la même façon, dansant sur un fil au dessus de la mort".

Marguerite Duras

mardi 2 mars 2010

Malavita, de Tonino Benacquista




"Le mot que je déteste le plus c'est "repenti". On me traite de repenti, je tire à vue."



Une histoire de maffiosos New-Yorkais repentis installés dans le petit village de Cholong-sur-Avre en Normandie ? Le pitch est alléchant.
La famille Blake, Fred le père écrivain, Maggie la mère investie dans des oeuvres caritatives, Belle la fille si fidèle à son prénom et Warren l'adolescent composent à première vue une famille américaine comme les autres. Ils savent en un rien de temps s'attirer la sympathie du village dans lequel ils viennent de s'installer. Mais les apparences sont souvent trompeuses, et le lecteur découvre vite que Fred n'est autre que Giovanni Manzoni, l'un des parrains repentis de la mafia new-yorkaise. Suite à sa trahison, il a l'ensemble de la pègre à ses trousses et il se terre en France avec sa famille, sous la surveillance d'agents du FBI désabusés.

Tonino Benacquista nous propose avec Malavita un beau scénario, au rythme soutenu et aux personnages amusants. On sent derrière cette écriture légère et très facile à lire la patte du scénariste et ce livre est en effet très proche du cinéma.
C'est peut-être justement à cause de ce style que le lecteur a parfois du mal à prendre l'histoire au sérieux. On suit avec plaisir les tribulations des personnages, mais les aspects parfois caricaturaux et le manque de profondeur fait que Malavita reste un divertissement, rien de plus sérieux. Mais on ne lui en demande pas forcément plus.

Malavita, de Tonino Benacquista, éd Gallimard, 2004