vendredi 26 novembre 2010

Un roman russe, d'Emmanuel Carrère



"Longtemps j'ai aimé cela. J'ai joui de souffrir d'une manière qui m'était singulière, et faisait de moi un écrivain. Aujourd'hui, je n'en veux plus.Je ne supporte plus d'être prisonnier de ce scénario morne et immuable, quelque soit le point de départ de me retrouver à tisser une histoire de folie, de gel, d'enfermement, à dessiner le plan du piège qui doit me broyer."


Un ancien combattant hongrois retrouvé dans un hôpital russe 50 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, un reportage en Russie sur les trace de ses origines, une histoire d'amour en dents de scie, un retour pénible sur son histoire familiale : le roman d'Emmanuel Carrère ne suit pas une ligne toute tracée, mais emprunte des sentiers alambiqués et douloureux pour faire partager une année charnière dans sa vie.

Car il s'agit bien de cela dans Un roman russe : en dehors de l'histoire des destins croisés par l'auteur, c'est celle de sa propre recherche personnelle qui est tracée plus ou moins en filigrane . Hautement autobiographique, le roman d'Emmanuel Carrère effectue un retour au source en revenant au pays de sa mère, quitte à réveiller des fantômes que d'aucuns auraient préférer laisser dormir dans l'oubli et la honte. Obsessions, humiliations, espoirs et mémoire individuelle et collective tissent la toile de fond de ce récit qui nous est livré sans fards.

Intimiste, sans concession, cruel, fluide : le roman russe d'Emmanuel Carrère touche encore une fois là où ça fait mal, et ça fait du bien (à son lecteur).

Un roman russe, d'Emmanuel Carrère, éd POL, 2007

vendredi 12 novembre 2010

Un aller simple, de Didier Van Cauwelaert



" J'ai commencé dans la vie comme enfant trouvé par erreur. Volé avec la voiture en fait. J'étais garé sur les clous et, pendant les années qui ont suivi, Mamita, quand je ne finissais pas mon assiette, disait que la fourrière allait venir me chercher. Alors je mangeais trop vite, et après je rendais tout, mais dans un sens c'était mieux ; ça m'évitait de prendre du poids. J'étais l'adopté, je restais à ma place."


J'avais gardé de ce livre un souvenir ému, et c'est non sans appréhension que j'ai entamé sa relecture il y a peu.
Les aventures d'Aziz, trouvé bébé dans une voiture et plus ou moins recueilli chez des gitans marseillais allait-elle me faire autant rire ? Sa rencontre avec Jean-Pierre, un attaché humanitaire dépressif chargé de le ramener dans son pays d'origine dans le cadre d'une politique anti-immigration allait-elle autant me toucher ?
Impression mitigée.
On se délecte des premières pages, celles retraçant la jeunesse d'Aziz, ses après-midis d'amour dans les calanques de Marseille, ses vols d'autoradio dans les quartiers de Marseille Nord, l'Atlas dans lequel il se plonge avec délice pour étudier les légendes du monde. Le narrateur est ce anti-héros atypique, qui nous régale de sa verve naïve et enfantine, cruelle sans le vouloir, doucement ironique.
Puis tout bascule. Une toute nouvelle politique d'immigration est lancée en grande pompe devant les médias du pays : on souhaite ramener les étrangers dans leur pays, et les aider à s'y réintégrer, sous l'oeil bienveillant des caméras. Manque de chance, cela tombe sur Aziz, le plus français et gitan des arabes, qui a le malheur d'avoir en poche des faux papiers qui le disent marocains, lui dont la patrie est Marseille, ville qu'il aime d'amour... On lui colle un attaché humanitaire, Jean-Pierre, col blanc qui ne digère pas sa récente rupture avec Clémentine, et qui a pour mission de l'emmener au Maroc.
A partir de là, les deux hommes partent en quête de l'Atlas, prétexte à un voyage initiatique qui sonne faux.

Un aller simple soulève la question de l'identité, celle que l'on se construit et celle que l'on nous colle comme une étiquette. Et sur ce point, aucune déception, le livre est bien fidèle à mon souvenir : poignant, sensible, vrai. L'auteur sait parfaitement restituer des sentiments délicats comme la culpabilité, la honte, l'incertitude. Malheureusement, à cette deuxième lecture (près de dix ans après la première) le livre me parait moins exaltant, plus facile, peut-être pas assez abouti, un peu court en somme.
Reste que le sujet est d'une modernité étonnante, le thème de la peur de l'autre et de l'étranger soulève d'amers relents d'identité nationale.

Un aller simple, de Didier Van Cauwelaert, 1994

mardi 26 octobre 2010

HHhH, de Laurent Binet



" Vous rejoignez les forces spéciales et vous entraînez dans des châteaux nommés House, Manor, ou Villa, à travers toute l'Ecosse et l'Angleterre. Vous sautez, vous luttez, vous dégoupillez. Vous êtes bon. Vous plaisez aux filles. Vous flirtez avec les petites Anglaises. Vous buvez le thé chez leurs parents qui vous trouvent charmant. Vous continuez à vous entraîner en vue de la plus grande mission qu'un pays ait jamais confiée à deux hommes seuls. Vous croyez en la justice, et vous croyez en la vengeance. Vous êtes valeureux, volontaire et doué. Vous êtes prêt à mourir pour votre pays. Vous devenez quelque chose qui grandit en vous et progressivement commence déjà à vous dépasser, mais vous restez aussi tellement vous-même. Vous êtes un homme simple. Vous êtes un homme.
Vous êtes Jozef Gabčík ou Jan Kubiš , et vous allez entrer dans l'Histoire."


Attention, immense coup de coeur !

Ce roman, je l'ai acheté à cause de son titre. Je n'avais même pas eu la présence d'esprit de regarder la quatrième de couverture (ce que je ne fais absolument jamais à vrai dire), où est expliqué la signification de ce HHhH. Je l'avais juste feuilleté rapidement, intriguée par ces quatre lettres, et puis le mot "Prague" est revenu plusieurs fois, et ça a suffit à me séduire.

Bien m'en a pris.

A la frontière du roman historique, de l'essai et du thriller, HHhH a plus d'un attrait.
L'histoire, déjà. C'est celle de l'attentat contre l'homme le plus dangereux du III ème Reich, la bête blonde, le boucher de Prague, le bras droit d'Himmler, le SS-Obengruppenführer, le planificateur de la solution finale : j'ai nommé Heydrich. Reinhardt Heydrich, que l'on surnomme Himmler Hirn Heisst Heydrich : "le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich". Voilà le titre énigmatique percé à jour.

Deux jeunes résistants tchèques et slovaques, Jozef Gabčík et Jan Kubiš ont pour mission de le supprimer. Ils sont parachutés dans la campagne tchèque par le gouvernement (enfin ce qu'il en reste) en exil à Londres, et rejoignent tant bien que mal le réseau de la résistance praguoise. S'ensuit une année de doutes, de nuits blanches, de détermination, de repérages : le quotidien de résistants sous le joug nazi. HHhH c'est donc une histoire de courage, de trahison, de grandeur d'âme et de résistance, qui met en avant les hommes de l'ombre qui ont changé le cours de l'histoire. Et puis il y a en parallèle la montée du Nazisme, le développement de la solution finale, les premiers camps de concentration, les massacres par dizaines de milliers, et au dessus de ce bourbier terrifiant, Heydrich, dont la soif de puissance ne tarit pas. Florent Binet croise avec virtuosité tous ces destins, sur fond de vieille Europe.

Il y a d'ailleurs ce point qui me parle particulièrement : l'auteur décrit les rues de Prague, ville qu'il aime (et que j'aime), qui résonnent au son des talons des bottes des SS, la cloche des tramways qui retentit dans les rues, le fleuve qui s'écoule sous le pont Charles, la rue Resslova, et tout ce décor tchèque qui est plus vrai que nature, et dans lequel va se dérouler la tentative d'assassinat contre Heydrich.

Et puis il y a le style de Binet et ses questionnements incessants sur le rapport entre l'Histoire avec un grand H et la fiction. Il fait part avec une grande honnêteté et une franchise rare de ses réticences à créer des personnages à partir d'êtres réels, d'interpréter, de romancer, de transformer l'histoire pour le roman. Il explique et on comprend : ses doutes, ses peurs d'écrivain, sa légitimité à raconter. A tel point que le récit du passé et la voix de l'auteur se croisent à un moment, pour se rejoindre et finalement ne former plus qu'un. Bluffant.

HHhH, de Laurent Binet, ed Grasset, 2010

vendredi 15 octobre 2010

Cours de rattrapage...



Le rat à la page a été mauvais élève. Séance de rattrapage des dernières semaines de lecture...


Les vacances, la rentrée, le travail... n'empêchent pas de lire, mais le rat n'est plus trop à la page...
Aperçu des derniers lectures, en bref, très bref !

Cristallisation secrète, de Yoko Ogawa
Un vrai coup de coeur pour ce roman très poétique. Une île où les choses disparaissent, petit à petit. Rubans, oiseaux, bateaux, parfum... le monde se vide, les gens oublient, mais il y a aussi ceux dont les souvenirs ne s'effacent pas qui s'organisent en un mouvement silencieux et sous-terrain de résistance.

Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi, de Katherine Pancol
Autant dire que ce troisième volet n'était pas indispensable, à lire en tout cas. Mais on retrouve non sans plaisir Hortense, Joséphine, Zoé et les autres. Trop long, parfois ennuyeux, cependant on ne peut s'empêcher de lire ce pavé jusqu'au bout. Katherine Pancol sait tout de même y faire pour captiver son lecteur !

American Psycho, de Bret Easton Ellis
Trash, pornographique, délicieusement perverti : ce roman nous plonge dans l'univers parfaitement aseptisé et millimétré de Patrick Bateman, jeune loup de la finance, tueur en série à ses heures. Inutile de résumer...
On se régale des descriptions sans fin des costumes Armani et cartes de visite milligrammées, on a du mal à garder les yeux ouverts sur les scènes de meurtres parfois insoutenables, mais on est pris totalement par l'écriture addictive de Bret Easton Ellis. Quitte à en redemander.

Providence, de Valérie Tong Cuong
Ce roman choral n'est pas désagréable. On se laisse séduire par certains des personnages, dont l'auteur sait croiser les destins avec fluidité, il faut le reconnaître. L'exercice est assez casse-gueule pour le souligner : Valérie Tong-Cuong sait faire vivre une galerie de personnages différents, qui tous s'expriment à la première personne, et jamais on ne met en doute leur crédibilité...
Mais tout est trop souvent convenu, et on ne peut s'empêcher de laisser s'échapper quelques bâillements. Reste que cette lecture se fait sans heurts, avec quelques sourires, même.

mardi 31 août 2010

Eldorado, de Laurent Gaudé



" "Un vieillard, pensa-t-il, voilà ce que je deviens. Et les jeunes gens que j'intercepte, eux, sont toujours plus forts. Ils ont dans leurs muscles la force et l'autorité de leurs vingt ans. Ils essaient de passer et réessaieront une fois, deux fois, trois fois s'il le faut." C'était cela, oui. Le gardien de la citadelle était fatigué tandis que les assaillants étaient sans cesse plus jeunes. Et ils étaient beaux de cette lumière que donne l'espoir au regard."


J'avais découvert Laurent Gaudé avec Le Soleil des Scorta, l'histoire de cette famille maudite des Pouilles, écrasée par le destin comme par la chaleur de cette terre aride et lourde de traditions.
Je le retrouve avec Eldorado, un roman ancré dans l'actualité. Celle de l'immigration illégale, mais toujours avec l'Italie en toile de fond, la chaleur écrasante, la présence de la mer, cette entité puissante, parfois menaçante et sauvage, d'autres fois amie et alliée. Laurent Gaudé y soulève la question de la frontière, celles entre les hommes, entre les cultures, entre les pays. L'Eldorado est derrière cette frontière, où "l'herbe sera grasse et les arbres chargés de fruits... Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse".

Entre récit politique et fable, Laurent Gaudé laisse toujours une part au conte, au lyrisme, fait de son récit une histoire intemporelle, la force des hommes comme constante. Eldorado, ce sont les destins croisés du commandant Salvatore Piracci, commandant d'une frégate italienne chargée d'intercepter les bateaux d'immigrants arrivant du large, de deux frères soudanais qui entreprennent la route cruelle et mythique vers l'eldorado, une jeune rescapée de ce voyage en enfer déterminée à en découdre avec les responsables de ces traversées barbares... L'eldorado ici c'est l'Europe, terre promise, qui pousse les hommes les plus démunis à entreprendre un voyage que peu réussissent. Des cargaisons humaines prêtes à tout pour une vie meilleure se lancent dans l'aventure. Au risque de tout perdre, au risque de se perdre.

On retrouve le talent de l'auteur pour retranscrire avec vérité et art, comme un tableau, le côté criant et vivant des choses, leurs odeurs, leur toucher, leur force, leur douceur. Ce livre n'est pas sans douleur et remise en question, on ne sort pas indemne de sa lecture. Mais les talents de conteur de Laurent Gaudé en font une lecture facile et entraînante, où le lecteur se laisse aussi bien porter par les mots que par la galerie de personnages aux histoires fragiles et profondes.

Eldorado, de Laurent Gaudé, éd Actes Sud, 2006

mercredi 25 août 2010

L'attrape-coeurs, de J.D.Salinger



"Elle s'est mise à danser un boogie-woogie avec moi mais pas ringard, tout en souplesse. Elle était vraiment douée. Je la touchais et ça suffisait. Et quand elle tournait sur elle-même, elle tortillait du cul si joliment. J'en restais estomaqué. Sans blague. Quand on est allés se rasseoir j'étais à moitié amoureux d'elle. Les filles c'est comme ça, même si elles sont plutôt moches, même si elles sont plutôt connes, chaque fois qu'elles font quelque chose de chouette on tombe à moitié amoureux d'elles et alors on sait plus où on en est. Les filles. Bordel. Elles peuvent vous rendre dingue. Comme rien. Vraiment."


Lire L'attrape-coeurs n'était pas chose gagnée. Non pas que ce livre ne m'attirait pas, loin de là. Mais l'attrape-coeur est un tel classique que j'étais absolument persuadée de l'avoir déjà lu. Persuadée. Bien m'a pris donc de jeter un oeil à la première page hier soir, à la recherche d'un court roman pour la soirée. Le style me percute dès la première phrase, et je sais à la fin de la première page que ce livre m'est inconnu. Oh joie ! C'est toujours un plaisir de pouvoir découvrir avec innocence un grand classique !

Et je fut conquise, entièrement. Pas une seule réserve, pas une once de déception, L'attrape-coeurs est un bijou de sensibilité, d'humour, de New-York, de circonvolutions d'adolescent.
Holden Caufield est l'anti-héros touchant et amusant de ce court roman, un ado désemparé qui se fait renvoyer de son école préparatoire, et qui erre dans les rues de New York avant le retour au bercail. Bars de nuit, rhum sodas, prostituées et rencontres en tous genres rythment ce récit dont la narration est un régal. Le mal-être adolescent, la difficulté à s'exprimer, à se trouver, les bravades inhérente à cet âge aux frontière de l'âge adulte font de ce roman un récit qui touche forcément le lecteur, et l'adolescence qu'il a quittée, parfois à regret, souvent avec difficulté... C'est ainsi qu'il se dégage du récit d'Holden Caufield une mélancolie particulière, une familiarité qui nous touche forcément.
Un seul regret : ne pas avoir lu L'attrape-coeurs à mes 16 ans.

L'attrape-coeurs, J.D. Salinger, éd Laffont, 1951

mercredi 21 juillet 2010

Mauvaise Base, de Harlan Coben



"Une boisson tropicale à portée de doigts, étalé à côté d'une bombe en bikini, l'eau turquoise des Caraïbes lui léchant les orteils, le sable blanc lui léchant le dos, le bleu du ciel lui léchant les yeux, le soleil plus suave qu'une masseuse suédoise sous haschich lui léchant la peau, Myron était profondément malheureux."

J'avais pourtant juré que l'on ne m'y reprendrait plus. Mais est-ce le soleil tapant, les grains de sables qui se glissent sur la serviette, le besoin viscéral de farniente, le cerveau au repos qui ne demande que du navet facile à lire ? Toujours est-il que je me suis laissée avoir par ce polar qui traînait dans la maison de vacances, avec pour argument principal "Allez, ça va me prendre deux heures, parfait pour la plage, pas de réflexion, pas de question..." Et voilà comment je me suis retrouvée à lire "Mauvaise base" de Harlan Coben, alors que l'ennui que j'avais éprouvé lors de ma dernière lecture de cet auteur n'avais d'égal que celui ressenti face à la grille des programmes de France Inter en été...

Des clichés en veux-tu en voilà, une intrigue sans queue ni tête, un agent sportif qui se prend pour un détective privé et qui coiffe au poteau les policiers incapables de mener une enquête digne de ce nom... L'histoire commence lorsque l'un des joueurs chouchou de Myron Bolitar, le héros récurrent de Coben, est retrouvé assassiné. Toutes les preuves accusent l'associée et meilleure amie de Bolitar, Esperanza. Notre héros et son ami sociopathe milliardaire Win jouent les justiciers et tentent de reconstruire le fil de l'histoire pour innocenter leur amie. Mais leur enquête les mène à un nouveau suspect qui n'est autre que Myron Bolitar lui-même...

Derrière des considérations mal amenées sur la culpabilité, la responsabilité, la vengeance, la justice, la limite entre le bien et le mal, l'intrigue pèche en cohérence et le lecteur regarde le dévoilement de la fin avec soulagement. Harlan Coben se fend d'interminables dialogues entre les personnages amenés d'une manière peu élégante afin de résumer l'intrigue régulièrement, ce qui a pour effet de casser le rythme et d'ennuyer son lecteur plus que de l'éclairer.
Bref, promis juré, plus jamais d'Harlan Coben dans ma pile de livres, plus jamais d'Harlan Coben sur ce blog.

Mauvaise base, de Harlan Coben, éd Fleuve noir, 1999

vendredi 25 juin 2010

Appelez-moi par mon prénom, de Nina Bouraoui




"Il ne s'agissait pas d'attirance ou de jeu. il fallait trouver quelqu'un qui ferait oublier. Oublier la peur. Oublier la violence. Oublier la jeunesse perdue. Oublier le vide. Oublier la nuit qui nous aspirait. Oublier l'idée que nous allions tous un jour disparaître et que d'autres danseraient à nos places sur les mêmes chansons. L'amour semblait compliqué."


C'est l'histoire d'une écrivaine qui lors d'une séance de dédicaces rencontre un lecteur. Il lui offre une vidéo et un CD. C'est le début d'une histoire d'amour à distance, en silence d'abord, puis avec des mots, des paroles, et une deuxième rencontre fantasmée, rêvée, attendue.
Nina Bouraoui a une écriture bien à elle, vive, incisive, douce, organique. Les phrases sont courtes, ciselées, une vraie dentelle délicate et charnelle. Elle retranscrit à merveille l'attente amoureuse, la naissance des sentiments, le manque, la montée du désir. L'image de l'autre, la construction de soi à travers la rencontre, la puissance d'un amour à venir sont des thèmes qu'elle traite avec une vraie maîtrise et que son écriture raconte avec ferveur. Appelez-moi par mon prénom réussit à surprendre avec un thème pourtant bien connu : l'obsession amoureuse qui tend vers le vertige.
Une vraie découverte pour moi qui entendait parler de cette auteure depuis longtemps sans avoir jamais plongé dans son univers.

Appelez-moi par mon prénom, de Nina Bouraoui, éd Stock, 2008

jeudi 10 juin 2010

Sans un mot, de Harlan Coben



"- Salut, Marianne, dit-il.
Elle ne pouvait ni bouger ni respirer. Il s'assit à côté d'elle, leva le poing et la frappa violemment au ventre. Si jusque là la douleur avait été soutenable, à présent elle atteignait une tout autre dimension.
- Où est la cassette ? demanda-t-il.
Et il commença à la massacrer."


Quand on ouvre un livre de Harlan Coben, le ton est donné : efficacité et rythme. Voilà, c'est bien un roman d'Harlan Coben, pas de surprise, le scénario est taillé sur mesure et le suspense savamment orchestré. On sait que l'on ne va pas s'ennuyer, que dans quelques heures ce sera terminé et que durant ce court laps de temps on n'aura lâché son bouquin que pour les urgences avérées, et encore. On plonge dans un Harlan Coben comme on s'installe dans une salle de cinéma pour un bon thriller.
Avec Sans un mot, ça n'a pas manqué : dès la fin du premier chapitre, j'étais entraînée et je n'ai quitté mon livre qu'au dernier mot de la dernière phrase. Efficace vous disais-je !
Alors, si la méthode de Coben est parfaitement rodée, avec un suspense implacable, des personnages bien dessinés et des rebondissements inattendus, j'ai cependant tiqué sur certains points. D'abord, cette manie de plus en plus courante dans les polars de mêler plusieurs intrigues les unes aux autres pour mieux perdre le lecteur et rendre le récit plus dense. Dans l'idée, je ne suis pas contre ; mais c'est en terme de crédibilité que l'histoire en prend un coup. On a du mal à croire que dans un quartier aisé et tranquille de la banlieue de New York, une poignée de voisins soient à leur insu liés par autant de liens farfelus ( avec entre autres l'irruption d'un psychopathe tueur, un violeur, un trafiquant, une belle soeur, un instituteur...). Autre petit détail gênant : le personnage du psychopathe justement, est un peu tiré par les cheveux... Et puis il n'était nul besoin de l'attifer d'une acolyte marquée par les horreurs de la guerre pour le rendre crédible. Ce duo est un peu bancal, dommage.
Mais comme à son habitude, la sauce prend, et Sans un mot se lit dans un souffle, parce que finalement, on n'en demande pas plus à un bon thriller...

Sans un mot, de Harlan Coben, éd Belfond, 2009

mardi 8 juin 2010

Mémoires de la jungle, de Tristan Garcia




"Pour l'heure, Doogie, tu es moins qu'un animal et tu n'as plus grand-chose de l'humain. Comment, oh ciel qui rit de moi qui pleut, comment toi, Doogie pleurnichard, iras-tu jamais plus loin qu'un presque rien?"


On l'attendait depuis longtemps... Tristan Garcia nous avait littéralement soufflés avec sa "Meilleure part des hommes", son premier roman qui avait raflé le prix de Flore en 2008. Le jeune auteur nous offrait à l'époque une chronique polyphonique des années sida en France, étonnante de maîtrise, qui fut l'une des révélations de la rentrée littéraire.

Changement total de décor pour son second livre, Mémoires de la jungle. Ici tous les repères sont chamboulés : le narrateur est un chimpanzé éduqué, qui vit à une époque éloignée de quelques siècles de la notre, une époque où les hommes ont conquis l'espace, éduqué l'animal et où la terre dépeuplée au profit d'autres planètes habite quelques populations parsemées de scientifiques et ethnologues. Doogie, le narrateur, est un chimpanzé mâle, élevé comme un petit garçon dans une famille de scientifiques : Doogie s'habille, dort dans un lit, parle le langage des humains et a renié la part animale qui est en lui. Jusqu'au jour où suite à un accident de navette qui le ramène sur terre, il se retrouve perdu dans la jungle et contraint de renouer avec ses instincts primaires refoulés. Doogie vit un dilemme philosophique et éthique difficile : retrouver sa condition animale pour survivre, au détriment de l'humanité qu'il avait acquise. Autour de ce retour à la Nature, Tristan Garcia tisse les thèmes de la culpabilité, de la mémoire, de la morale, de la part de l'animal qui sommeille en nous, de la force des acquis mais également des instincts. Il dresse une fable qui oscille habillement entre science-fiction et philosophie.

Tristan Garcia réalise également une prouesse stylistique incroyable en choisissant comme narrateur un singe, jouant ainsi sur les niveaux de langage.
Un exercice osé et courageux, difficile cependant à suivre pour le lecteur. La lecture nécessite en effet une concentration rare. Mais on ne peut qu'admirer l'écriture ainsi inventée par l'écrivain : il joue avec les codes, mélange une oralité naïve et empreinte de néologismes à une langue très sophistiquée. "Le goût de l'odeur des fibres du fruit était dans ma bouche du délice, puis j'ai essuyé mes babines en fermant les yeux, j'ai lavé à la flaque mes mains et le ventre plein, oh bonheur de la j-Jungle, la Nature n'est-elle pas faite parfaite? j'ai fait comme monsieur Gardner le dimanche dans la civilisation la sieste en dormant les doigts croisés sur la poitrine (...). J'ai aimé la Nature, Janet, pardonne-moi".
Cette langue nous guide dans une quête de l'animalité, loin de la civilisation qui nous forge. Expérience déroutante.

Mémoires de la jungle, de Tristan Garcia, éd Gallimard, 2010

mercredi 26 mai 2010

Dans ses yeux, de Juan José Campanella




"N’y pensez plus, sinon vous aurez mille passés et pas de futur"


Ah ce qu'il peut s'en passer des choses dans un regard! Un amour sourd inavoué, une pulsion meurtrière, une demande muette de passage à l'acte... Le film qui a reçu l'Oscar du meilleur film étranger plonge dans les yeux de ses protagonistes pour en tirer la substance la plus impalpable : la vérité enfouie en profondeur, que ce soit celle que l'on attend ou celle que l'on redoute.

Dans ses yeux c'est un scénario solidement ficelé, fait d'allers et retours entre le passé et le présent de Benjamin Esposito. Arrivé à la retraite, ce juge argentin décide d'écrire un livre pour revenir sur l'une des affaires qui l'a le plus marqué près d'un quart de siècle plus tôt : le viol et le meurtre d'une jeune et ravissante institutrice en 1974. Cette affaire devient la clef de voûte de son histoire personnelle : sa carrière, ses amitiés et son amour inavoué pour la belle Irene, sa supérieure hiérarchique, seront profondément influencés par l'enquête menée avec ténacité dans un système pourri par la corruption et l'indifférence. Car Dans ses yeux c'est aussi le retour sur une époque particulièrement sombre pour l'Argentine, et le film prend ainsi par moment des allures de thriller politique.

Esthétiquement très beau, le film jongle entre les genres : tour à tour policier, comédie, drame historique, il joue sur tous les tableaux et malheureusement en perd souvent son souffle. L'irruption de scènes très drôles et cocasses casse ainsi régulièrement le rythme du récit qui aurait gagné à être plus effréné. La balance entre les genres manque parfois d'équilibre, dommage, car tous les ingrédients sont réunis pour un bon film.
Autre reproche que l'on peut faire à Dans ses yeux : si les thèmes de l'obsession, de la frustration, du poids du passé et de la mémoire sont admirablement abordés, ils le sont peut-être parfois avec une ostentation trop évidente. Campanella manque parfois de nuance, et amène son propos de façon trop brute là où de simples suggestions auraient suffit.
Mais sur le reste - le jeu des acteurs, la mise en scène, l'image - la subtilité est au rendez-vous. Le personnage de Benjamin Esposito est particulièrement touchant : sa difficulté à passer à l'acte, son incapacité à lire dans les yeux d'Irene un amour qui ne demande qu'à être pris, sa hantise d'avoir raté sa vie, et son questionnement sans fin sur la vengeance, l'oubli, l'acceptation, font de lui un personnage profondément humain, un antihéros héroïque comme on les aime.
Si je ne comprends pas vraiment la critique dithyrambique qu'a reçu ce film, cela reste donc tout de même un beau moment de cinéma.

Dans ses yeux, de Juan José Campanella, 2010

mercredi 19 mai 2010

L'échappée belle, d'Anna Gavalda




"Nous étions bien. il y avait le glouglou de l'eau, le bruit du vent dans les arbres et le bavardage des oiseaux. le soleil jouait avec la rivière, crépitant par ici, se sauvant par là, torpillant les nuages et courant sur les berges. Mon chien rêvait du bitume de Paname en grognant de bonheur et les mouches nous embêtaient".


Il fallait bien un jour ou l'autre que le rat à la page s'attaque à un navet. L'occasion ne se présentant pas, j'ai provoqué les choses en m'attelant à L'échappée belle d'Anna Gavalda. Non pas que je sois une fervente opposante à l'auteure de J'aimerais que quelqu'un m'attende quelquepart, bien au contraire, j'avais apprécié son premier recueil de nouvelles et j'avais même été touchée par son roman Je l'aimais. Mais le résumé de ce petit livre d'à peine 160 pages m'avertissait déjà de tout ce que ma lecture allait pouvoir avoir d'insipide, d'ennuyeux et de cliché. Ce qui n'a pas raté : L'échappée belle est une bluette sans rythme et sans phrases qui surfe sur la vague de l'écriture des "petits plaisirs minuscules" de la vie, des bons sentiments et des raccourcis faciles.
Garance, Lola, Simon et Vincent forment une fratrie soudée et joyeuse, de celles que l'on retrouve dans le Club des cinq. Lors du mariage d'un cousin éloigné, ils s'échappent et s'octroient une journée de temps volé, s'offrant un retour aux sources et aux souvenirs d'enfance, loin des contraintes du réel et de la vie d'adulte qui pèse.
L'idée de cette parenthèse enchantée est bien sûr tentante, et l'on a envie de suivre cette échappée belle avec sourire et légèreté. Mais je suis malgré tout passée complètement à côté de cette histoire, où la belle soeur est forcément acariâtre, les chiens sont fidèles, les petits frères restent de grands enfants et la grande soeur un modèle de beauté et de poésie.
Trop de stéréotypes servis par un style insuffisant, la légèreté voulue, la nostalgie provoquée par des longues phrases qui n'en finissent plus, sans verbe aucun, cette accumulation de figures de style lassent très rapidement.

Comme la narratrice Garance, "je me suis surprise à patauger dans la guimauve", mais contrairement à elle, je n'ai pas apprécié.

L'échappée belle, d'Anna Gavalda, éd Le Dilettante, 2009

vendredi 14 mai 2010

Robin des bois, de Ridley Scott




"Rise and rise again, until lambs become lions"


Robin des bois, ha, ce grand héros de ma jeunesse !
D'abord pour moi Robin ce fut une face de renard, des collants oranges et un arc, l'ours petit jean et un serpent hypnotique... Oui Robin des bois c'était avant tout la version de Disney que j'ai vue des dizaines de fois.
Puis plus tard Robin des bois pris le physique séduisant de Kevin Costner, quand l'acteur n'était pas encore synonyme de has been et quand les aventures du prince des voleurs étaient héroïques et romantiques.
Alors quand hier soir, dans la salle du Max Linder, Robin des bois a pris de nouveaux traits, ceux du sculptural et trapu Russel Crowe, je m'attendais à un temps nécessaire d'adaptation. Mais que nenni, l'acteur oscarisé et musclé, campe bien le hors la loi. Sauf que de hors la loi, il n'en est pas question, enfin pas tout de suite, le spectateur devra attendre 2h20 de film pour enfin arriver au bannissement de Robin, et au début de l'histoire telle qu'on la connaît, celle de la légende du prince des voleurs. Le Robin des bois de Ridley Scott est en fait l'histoire de Robin, archer dans l'armée de Richard coeur de lion, qui par une série de coïncidences va retrouver les traces de son passé et mener la lutte de l'Angleterre contre l'envahissement des Français et des mauvais sbires du roi Jean.
Qu'en est-il du film en lui-même alors ? Souvent ennuyeux, mal ficelé, on a l'impression que le réalisateur a voulu trop en mettre, qu'il n'a pas eu le temps, qu'il a coupé, tranché, sans se soucier de cohérence. Le film manque atrocement de fluidité, le scénario pèche et même Russel crowe, acteur incroyable de Révélations, ou d'Un homme d'exception, se contente ici de peu, nous offrant le strict minimum de son jeu. Cate Blanchett est belle et juste, mais elle est rarement mauvaise hein... Le film est malgré tout très beau, esthétiquement parlant. Les scènes de guerre sont décidément le point fort de Ridley Scott, qui les tourne avec virtuosité. La reconstitution historique est une vraie réussite : décors, costumes, langage, tout est orchestré avec brio et authenticité. Et le lyrisme chevaleresque est présent, mais on aurait envie de dire trop présent...
Malgré tout donc, le divertissement se laisse regarder, après tout, on était prévenus, il s'agit de Robin des bois par Ridley Scott...

mardi 11 mai 2010

L'Adversaire, d'Emmanuel Carrère



"Je ressentais de la pitié, une sympathie douloureuse en mettant mes pas dans ceux de cet homme errant sans but, année après année, replié sur son absurde secret qu'il ne pouvait confier à personne et que personne ne devait connaître sous peine de mort. Puis je pensais aux enfants, aux photos de leurs corps prises à l'institut médico-légal : horreur à l'état brut, qui fait instinctivement fermer les yeux, secouer la tête pour que cela n'ait pas existé."



Il était grand temps de lire L'Adversaire après avoir vu le film qu'en avait tiré Nicole Garcia en 2001.
Je me souviens avoir été fascinée par le fait divers tragique dont l'histoire est tirée : celle du faux docteur Jean-Claude Romand et de sa famille assassinée. La première fois que j'en ai entendu parler, c'était dans le "Nouvel Obs" qui traînait sur la table du salon, là où mon père l'avait laissé ouvert à la page où un article revenait sur le drame. C'était en 1993, quelques semaines plus tôt un notable de province tombait le masque, et dévoilait la noirceur la plus trouble que peut porter l'homme en son sein.

Jean-Claude Romand a vécu dix-huit ans durant une double vie, sans jamais éveiller le moindre soupçon chez sa femme, sa famille, ses amis les plus proches. Le 9 janvier 1993, il tue sa femme Florence, ses enfants Caroline et Antoine, ses parents, tente de tuer sa maîtresse en vain, puis essaie de se suicider.
Cette tragédie est le point de départ d'une enquête qui va révéler rapidement l'immense imposture qu'est la vie de Jean-Claude Romand. Il s'avère qu'il n'a en fait jamais passé ses concours de médecine, qu'il n'est pas professeur à Dijon et encore moins chercheur à l'OMS, qu'il a détourné les fonds financiers de sa famille pour vivre et que pris au piège dans sa toile de mensonges et de tromperie, acculé, il opte pour le meurtre des siens.

Ce qui est fascinant dans cette histoire, c'est effectivement le personnage de Romand. Un homme profondément "gentil" selon son entourage, calme, taiseux, cultivé, désireux de bien faire et d'être bien vu. Comment le mensonge a-t-il commencé ? Pourquoi avoir laissé la spirale s'emballer quand il était encore temps d'avouer ses fautes ? Comment la solitude, les heures vides, la mise en scène permanente ont-ils peu à peu rongé cet homme fragile psychologiquement ?

C'est avec pudeur et humilité qu'Emmanuel Carrère dresse le portrait d'un meurtrier dans toute sa faiblesse, sa folie, son désespoir. Il entre non sans crainte dans l'histoire de cet homme qui a tué tous ses "êtres aimés", incapable d'accepter la vérité, ne sachant plus s'il existe même une vérité, ancré depuis trop longtemps dans le mensonge. La gageure est de taille pour Carrère : l'histoire de Romand reprend nombre de ses propres obsessions, et encore une fois, le réel et la fiction sont si étroitement imbriqués que la prise de recul nécessaire est souvent difficile à respecter. Mais il réussit le tour de force avec brio.

Ce que j'aime décidément chez Carrère, c'est son honnêteté vis à vis du lecteur. Il ne cache pas sa fascination pour ce drame, son attirance qui le dégoûte et l'on sent la mise en danger qu'engendre cette confrontation, la difficulté à ne pas plaider la cause de l'assassin. Carrère est intrinsèquement lié à son livre, il s'y exprime à la première personne, et le lecteur se sent impliqué à ses côtés. Une sensation rare en lecture, qui y apporte une force inhabituelle.

Sans pour autant tomber dans un style journalistique, il décrit avec une précision quasiment mécanique les journées de Romand, il tache d'imaginer, de reconstruire, de comprendre "ce qui dans une expérience humaine aussi extrême m'a touché de si près et touche, je crois, chacun d'entre nous".

Ce livre a été difficile à écrire, il faudra à Emmanuel Carrère plusieurs années pour se décider à le faire, pour finalement le terminer en 1999, six ans après le procès de Jean-Claude Romand.

L'adversaire, d'Emmanuel Carrère, éd POL, 2000

lundi 3 mai 2010

Mammuth, de Benoît Delépine et Gustave Kervern




"Reste toi-même, c'est eux les cons, ils m'font honte, te laisse pas faire"


Le duo de trublions insolents de "Groland",Benoît Delépine et Gustave Kervern, nous livre sa version d'un road movie à moto, grotesque, trivial, tendre, désabusé et drôle.
C'est Gérard Depardieu qui campe le héros gras, aux cheveux longs et sales, un vrai prolo usé par une vie de petits boulots ingrats. L'heure de la retraite a sonné, et le compte n'est pas bon : Serge Pilardosse doit partir à la cueillette des feuilles de retraite qui lui manquent, pour ses points de retraite
Il enfourche pour ce faire sa vieille compagne d'antan, une imposante Honda qui répond également au doux nom de "Mammuth" et s'en va parcourir les routes de Charente Maritime, cheveux dans le vent, gros bide débordant de son marcel lâche.
Répondant aux règle du genre, une galerie de rencontres plus truculentes et saugrenues les unes que les autres s'ensuit : Anna Mouglalis la détrousseuse, MissMing la troublante nièce, Siné le vigneron sans vergogne... Ce voyage dans son passé ramène notre héros à son amour de jeunesse, plus exactement à son fantôme, incarné par une Isabelle Adjani belle et franche qui fait des apparitions surprenantes et émouvantes.
Une présence qui le ramène à sa femme, Catherine (une Yolande Moreau absolument parfaite), caissière dans le supermarché du coin, au bout du rouleau mais qui garde la tête haute, même lorsqu'on la relègue au rayon poissonnerie.

Le tout est servi par un humour tendre, des intrusions glauques et dérangeantes, des personnages et des situations cocasses qui soulignent l'absurdité d'aujourd'hui, le désarroi de toute une classe sociale. Au delà du grossier, de la fatalité et de l'idiotie, c'est l'amour qui triomphe. Une morale téléphonée mais pardonnée, car elle prend tout son sens incarnée par un sublime Depardieu.

vendredi 30 avril 2010

Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé



"La forêt en entier était accablée et immobile sous les trombes d'eau qui la maintenaient tête penchée. Vera Candida se dit, La forêt est une pénitente. Puis elle pensa, Je m'en vais. Et encore, Je m'en vais et personne ne me regrettera. Ce qui était faux, bien entendu."



Ce que je sais de Vera Candida prend dès le début des airs de fable : Véronique Ovaldé nous emmène à Vatapuna, une île imaginaire, une Amérique latine fantasmée. Nature luxuriante, misère, poissons volants, chaleur écrasante, cabane en bord de plage : le décor est planté. L'histoire nous plonge dans une ambiance très féminine : Ce que je sais de Vera Candida c'est en effet une lignée de trois femmes, Rose Bustamente, Violette et Vera Candida. Nous sont contées les relations mère-fille et petite fille-grand mère qu'elles tissent, leurs relations aux hommes, violentes, subies, passionnées. C'est aussi le destin que l'on contre et les racines qui nous rappellent qui nous sommes. Il y a des fantômes, des envoûtements, des rêves et de belles histoires d'amour.

L'écriture de Véronique Ovaldé est unique : vive, envolée, follement rythmée, l'auteure porte son lecteur d'un bout à l'autre de son roman sans lui laisser le temps de souffler. Les dialogues sont parfaitement fondus dans le texte, les pensées s'y s'entremêlent et le tout donne au final un texte fluide, porteur et d'une évidence absolue.

Un petit bémol pour la fin du roman, où le rythme s'écrase un peu dès que Véronique Ovaldé quitte le domaine de la fable pour narrer un quotidien plus réaliste. Le style s'essouffle un peu, mais retrouve vite sa verve pour les derniers chapitres.

Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé, éd de l'Olivier, 2009.

dimanche 18 avril 2010

Un très grand amour, de Franz-Olivier Giesbert



"De même que nous marchons sur le terreau pourrissant de nos ancêtres, nous piétinons allègrement nos passions éteintes que nous entassons les unes sur les autres. Le très grand amour est éphémère mais les ruines sont éternelles."



Qui dit très grand amour, dit forcément très grande douleur, très grande remise en question et très belle introspection. L'histoire d'Antoine, écrivain "sans livre" sur le déclin, mondain parisien déchu, séducteur, enchaînant les femmes et les maîtresses, pourrait pourtant sembler bien ennuyeuse au premier abord. Ces thématiques ne sont pas rares. mais dans "Un très grand amour", l'homme se met à nu face à la femme clef de son existence. Celle qui est l'élément perturbateur d'une mécanique ennuyeuse bien huilée, celle qui provoque le coup de foudre qui va le faire revivre avant de le faire mourir pour une énième fois. Le narrateur Antoine a trop de points en commun avec son auteur Franz-Olivier Giesbert pour ne pas deviner à quel point ce roman a une part autobiographique. Si le lecteur a envie d'être touché par l'éclairage sans complaisance sur un personnage souvent méprisable, l'histoire manque cependant trop de profondeur pour que l'on puisse compatir avec les malheurs d'Antoine.

Antoine, cet homme qui aime les femmes, les enfants, la nature, les livres, tout, tout le monde, ou presque. Il est un grand dépendant des autres, et sème son amour comme il distribue sa semence, généreusement, avidement.

Le roman revient sur le très grand amour que vit Antoine avec Isabella, un amour trop grand, trop éloigné des réalités, avec cette femme, phobique chronique qui préfère se couper du monde et de ce qui l'effraie quitte à se contenter d'une "vie étriquée" plutôt que de prendre des risques. Une phobie qui se développe d'autant plus face au cancer de la prostate d'Antoine.

On peut regretter certains dialogues qui pèchent par manque de rythme et de réalisme, et des répliques qui tombent à plat. Mais elles sont rattrapées par un sens de la formule facile, qui apportent comme une ponctuation au texte : "J'ai toujours eu du mal à aimer les gens qui me détestent", "elle était nue dans son regard", "les romans sont des histoires vraies racontées par des menteurs". Mais FOG a une tendance agaçante qui nous rappelle Beigbeder : il utilise son livre comme un recueil de citations à tout va, une méthode qui pousse à se demander si ces écrivains qui citent leurs pairs ne sont pas trop conscients de leurs limites pour oser aller se frotter à eux ou s'ils ne sont pas tout simplement en manque d'inspiration. On ne sait quelle version préférer.

Reste que le texte en soit n'est pas désagréable à lire malgré quelques formules un peu trop lyriques, ou clichées. Il porte un optimisme doux-amer, et nous montre malgré tout comment un très grand amour peut déboucher sur un vrai amour. Ou comment l'amour a mille facette et une vie entière de séducteur acharné est à peine suffisante pour toutes les explorer.

Un très grand amour, de Franz-Olivier Giesbert, éd Gallimard, 2010

mardi 13 avril 2010

Les lieux sombres, de Gillian Flynn



" La mesquinerie qui m'habite est aussi réelle qu'un organe. Si on me fendait le ventre, elle pourrait fort bien se glisser dehors, charnue et sombre, tomber par terre, et on pourrait sauter dessus à pieds joints.(...) Je n'étais pas une enfant aimable, et je suis devenue une adulte profondément mal aimable. Si on voulait dessiner mon âme, on obtiendrait un gribouillis avec des crocs pointus."


Ce ne sont ni le titre, ni l'auteure, ni même la critique dithyrambique qu'en a faite Stephen King qui m'ont poussées vers Les lieux sombres. Non, c'est la maison d'édition, Sonatines, chaudement recommandée par ma libraire favorite. Une maison qui selon elle est "presque toujours un gage de qualité". Soit. Message reçu, je suis donc repartie avec ce polar de plus de quatre-cents pages dans mon panier. Et après quelques pages, la première surprise : ce roman noir est bel et bien bien écrit. Une narration à la première personne, assez rare et très appréciable dans ce genre (cela nous rappelle A vif de Suzanne Moore), plonge le lecteur au plus profond de la personnalité avide et torturée de son héroïne, Libby Day.

Cette dernière est la seule rescapée du massacre de sa famille, qui a eu lieu vingt-cinq ans plus tôt, alors qu'elle était âgée de sept ans. C'est suite à son témoignage que son grand frère Ben est inculpé et incarcéré pour le meurtre particulièrement violent aux accents satanistes de sa mère et de ses deux petites soeurs. Lorsqu'un quart de siècle plus tard les membres d'un club d'un genre étrange lui demandent de reconsidérer son témoignage en l'échange d'argent, elle n'hésite pas longtemps avant de remonter le fil de l'enquête, et de remettre en question ses certitudes. Le roman alterne alors les chapitres relatant le présent et l'enquête de Libby sur son passé, et les chapitres concentrés sur la veille du meurtre, le 3 janvier 1985.

L'auteure jongle très habilement entre les deux époques et les différents personnages qui en sont les protagonistes. Pas de manichéisme, de méchants contre les gentils ou d'intrigue cousue de fil blanc : les caractères sont très réalistes, chacun ayant ses petits vices et gros défauts, sa part d'ombre et ses élans d'humanité. Tous participent à une réflexion sombre et pertinente sur la manipulation et la faiblesse : ce qu'elles nous poussent à faire, à croire, à dissimuler.

Gillian Flynn tisse la toile de son polar avec un rythme certain, un vrai talent pour disséminer les indices et les informations, et au final on ne peut qu'applaudir le scénario. Pas d'aberration, pas d'évidences, pas d'alibis tirés par les cheveux : c'est aussi à cela que l'on reconnaît un bon thriller, quand les règles du jeu sont respectées intelligemment, sans grossièreté, avec élégance et efficacité.

Les lieux sombres, de Gillian Flynn, éd Sonatines, 2010

jeudi 8 avril 2010

La littérature jeunesse, pour quoi faire ?



"Dans une société qui a tendance à faire de l'enfant une victime de l'adulte, la littérature jeunesse offre une autre voie, joyeuse et optimiste, où l'adulte n'est plus celui qui menace mais celui qui révèle."


Alors que les voix s'élèvent autour du sort du salon du livre de jeunesse de Montreuil, menacé par les baisses drastiques de subvention, le cinéaste Christophe Honoré prend la parole aujourd'hui dans Le Monde. Son intervention, titrée "Êtes-vous pour une jeunesse sans littérature ?", alarme sur le dédain et l'ignorance que subit la littérature jeunesse en général. Sous-livres, babillage pour bambins, histoires "douce(s) et tendre(s)" sirupeuses : la vision des livres pour enfants est bardée de clichés et d'a priori grossiers. De plus, "une masse de livres idiots fait barrage entre l'enfant et la vraie littérature. Et les parents bienveillants font rarement des bons prescripteurs de livres pour leurs enfants." D'où l'importance de soutenir les initiatives qui proposent d'enrichir et de révéler ce qu'est la littérature jeunesse. Cette passerelle entre le monde adulte et celui des enfants, cette porte ouverte sur la découverte, l'autonomie et le rêve.

Car les livres pour enfants n'abordent pas seulement des histoires de princesse, de licorne ou d'animaux qui parlent. L'amitié, la mort, l'amour, le divorce, les peurs, l'autre : les livres jeunesse apportent des éclaircissement, une ouverture sur le monde, sur les autres, et des réponses à des questions qui se posent en filigrane à un âge où tout est découverte et nouveauté. Ces jeunes lecteurs seront un jour des adultes marqués par leurs lectures de jeunesse.
Dernier exemple en date, d'un adulte ayant gardé son âme d'enfant : Spike Jonze, qui s'est attelé avec talent à l'adaptation du grand classique de sa jeunesse : Max et les maximonstres.

Comme le dit si bien Christophe Honoré, "un enfant touché par la littérature est un adulte sur qui nous pourrons compter".

Nos préférences en la matière ?
Le Petit Chaperon Rouge, classique revisité par Louise Rowe dans un livre pop-up aux illustrations magnifiques.
Eloïse au Plaza, de Kay Thompson, illustré par Hilary Knight, un incontournable depuis 1955, drôle et piquant !
Les albums beaux et profonds de Kitty Crowther, avec un véritable coup de coeur pour Annie du lac, qui avait été récompensé par le prix Baobab lors de la dernière édition du Salon du livre de jeunesse à Montreuil.


A lire sur lemonde.fr

lundi 5 avril 2010

Incidences, de Philippe Djian



"L'étudiante avait viré au gris-bleu, non qu'il fît particulièrement froid. "Quelle misère, songea-t-il en se penchant sur elle et l'attrapant sous les aisselles, le coeur serré. Quelle tragédie c'était, quand on y pensait. Fauchée si jeune. Comme c'était absurde. Comme c'était révoltant. Et comme c'était un vilain tour qu'on lui jouait à lui aussi. Comme c'était un sale tour qu'on lui jouait d'avoir fait claquer cette cette pauvre fille sous son toit, dans son lit. Pourquoi ne lui avait-on pas mis un poignard entre les mains, pour faire bonne mesure ? Comme c'était rude."


L'histoire commence comme un épisode de Californication : un séduisant professeur d'université quinquagénaire, écrivain raté, accroc à la cigarette et ne disant pas non à une bonne bouteille, ramène chez lui à vive allure une de ses jeunes étudiantes. L'histoire se corse dès le lendemain matin, quand la jeune Barbara ne se réveille pas, "la fille était froide comme un jambon, déjà presque grise". Notre héros, Marc, ne se laisse pas démonter et va se débarrasser du corps au fond d'une crevasse dans la forêt à coté de chez lui. En moins de dix pages, l'intrigue est posée, Philippe Djian ne ménage pas son lecteur. Reste que ce dernier est vite perdu, ne sachant à quoi il a affaire : un récit initiatique, un polar, un roman psychologique ? Et puis on lâche les amarres, et on accepte la règle du jeu, sans poser de questions, en laissant les personnages prendre les devants pour nous.

Marc tombe en effet amoureux de la mère de Barbara, une relation enfin mature qui remet en question le fragile équilibre qu'il a établi avec sa soeur Marianne. Les deux frères et soeurs, aux relations ambiguës, vivent dans une même maison, isolée dans la forêt, travaillent tous les deux à l'université et ont un sens aigu du sacrifice pour l'autre. C'est la relation la plus intéressante du livre, ces deux personnalités énigmatiques et peu sympathiques, on sent une folie à demi mots entre ces deux là, folie qui prend ses racines dans leur enfance. Des flash back glacés et vifs comme des éclairs font ainsi leur apparition et nous montrent une jeunesse violente, une mère cruelle, et nous laissent pressentir une fin peu heureuse.

Quant à Marc, il agace, son flegme, son apologie de la cigarette en permanence, sa façon de compliquer des situations simples, sa mesquinerie, sa naïveté de grand enfant, sa faiblesse aussi. L'histoire prend des détours inattendus, sans crier gare. Philippe Djian ne s'embarrasse pas d'explications, encore moins d'éclaircissements. Il laisse deviner, plonge le lecteur dans le flou, le laisse démêler l'histoire et l'interpréter à sa guise. Pour les non initiés à l'auteur, l'exercice peut s'avérer délicat, voire ennuyeux. Mais le style virtuose est là, l'humour noir, la fausse désinvolture et la noirceur angoissante et pesante.

Reste une belle réflexion sur le métier d'écrivain, sur le travail de l'écriture, comme si Philippe Djian se rappelait à lui même les règles qu'il devait respecter au fil de son roman : à savoir ciseler le rythme, les couleurs, les sonorités. Il maîtrise ainsi avec perfection une narration du non-dit, du flou, de la suggestion, jusqu'à une fin pour le moins explosive.

Incidences, de Philippe Djian, éd Gallimard, 2010

mardi 30 mars 2010

L'écrivain et l'autre, de Carlos Liscano




"Depuis que je me connais, j’ai toujours voulu être écrivain et durant de nombreuses années j’ai fait tout mon possible pour ne pas l’être. Je pensais que si j’arrivais à devenir écrivain, tout trouverait sa place et que moi, je trouverais la paix. Un jour, j’ai senti que j’en avais fait suffisamment pour me considérer comme écrivain et je me suis rendu compte que cela n’allait pas. Que la recherche n’était pas terminée, qu’il y avait une chose que je n’avais pas encore trouvée. Ecrire avait été un prétexte pour être, mais ce n’était pas suffisant."


Hier soir, dans l'émission "l'humeur vagabonde" de Kathleen Evin sur France Inter, émission toujours très bien réalisée, était diffusée une très belle interview de l'écrivain uruguayen Carlos Liscano. Né en 1949 à Montevideo, il est condamné à l'âge de 23 ans par le régime militaire et passera plus de 13 années en prison, après 6 mois de torture. C'est pour survivre à la barbarie, à l'isolement, à la folie, qu'il commencera à écrire. D'abord des bribes de roman qu'il élabore dans sa tête, avant de pouvoir poser les mots sur des petits bouts de papier. C'est un ancien détenu libéré avant lui qui les fera passer à l'extérieur et fera ainsi publier son premier roman alors que Liscano est encore emprisonné.

Au début de l'émission, est lu un extrait très fort, très beau, qui dévoile le questionnement de Liscano sur la condition d'écrivain et le rapport à l'écriture. Une émission à réécouter, avec un écrivain touchant, qui nous assure qu'au final, "vivre vaut presque toujours la peine".

Podcast de l'émission ici

L'écrivain et l'autre, de Carlos Liscano, éd Belfond, 2010

vendredi 26 mars 2010

Sévère, de Régis Jauffret



" Je l'ai rencontré un soir de printemps. Je suis devenue sa maîtresse. Je lui ai offert la combinaison en latex qu'il portait le jour de sa mort. Je lui ai servi de secrétaire sexuelle. Il m'a initiée au maniement des armes. Il m'a fait cadeau d'un revolver. Je lui ai extorqué un million de dollars. Il me l'a repris. Je l'ai abattu d'une balle entre les deux yeux. Il est tombé de la chaise où je l'avais attaché. Il respirait encore. Je l'ai achevé."


Le dernier roman de Régis Jauffret, Lacrimosa, était déjà un roman puissant, bouleversant, très dur. On retrouve dans Sévère cette même écriture méticuleuse et tortueuse, un style vif, très imagé. Outre la plume de Jauffret que l'on retrouve avec délectation, ce sont ses considérations sur le rapport entre réel et fiction qui nous rattrapent. Il joue sur les deux tableaux avec virtuosité, et dès la préface nous met en garde sur la fiction. Si "elle éclaire comme une torche" la réalité, "la fiction ment". Une précision nécessaire, quand on sait que Sévère relate un fait divers sordide, l'assassinat du banquier Edouard Stern par sa maîtresse Cécile Brossard. Régis Jauffret se dédouane de toute attaque en interpellant le lecteur : "ne croyez pas que cette histoire est réelle, c'est moi qui l'ait inventée".

C'est ainsi l'imagination qui prend le dessus, et l'auteur rentre dans la peau de la meurtrière pour nous raconter sa relation destructrice avec son puissant amant. La narratrice évoque ainsi dans un flot de paroles dérangées leurs jeux sexuels, les rapports de force et de soumission qu'elle entretenait avec l'homme qu'elle tuera de quatre balles. Le corps sera retrouvé dans une chambre d'hôtel, compressé dans une combinaison intégrale en latex de couleur chair, gonflé de sang.

Dans Sévère, tout est mensonge. La frontière entre réalité et imagination est floutée, le lecteur s'en remet à la narratrice, se perd avec elle dans les humiliations, les frustrations, l'aveuglement que provoquent un bain mouvementé d'argent, de sexe et de pouvoir.

On ne cherche pas à comprendre, on se laisse manipuler par l'esprit vagabond et dissimulateur de la narratrice, une femme perdue, "secrétaire sexuelle" de son amant, victime et bourreau à la fois. On ne sait jamais vraiment qui elle est, et le fait que Jauffret porte sa voix nous égare d'autant plus. Intelligente ? Affabulatrice ? Vénale ? Amoureuse irraisonnable ? Sans savoir démêler le vrai du faux, le lecteur avance dans l'intrigue dont il connaît la fin. C'est là aussi la force de ce roman : le lecteur se moque de connaître la vérité, et peu importe le dénouement final puisque la narratrice le dit elle-même "c'est comme si cette histoire était arrivée à une autre".

L'ambiance est glauque, un peu écoeurante, et l'on referme la dernière page essoufflé, embarrassé, avec ce sentiment d'avoir été le voyeur d'une histoire que l'on ne comprendra pas entièrement.

Sévère, de Régis Jauffret, éd du Seuil, 2010

lundi 22 mars 2010

Les Aventures d'Olivier Twist, de Charles Dickens



"Comment va ta mère, hospiceux ? dit-il
- Elle est morte, répondit Olivier ; ne te mêle pas de me dire quoique ce soit sur elle !
(...)
- De quoi qu'elle est morte, hospiceux ? demanda Noé.
- D'un coeur brisé, à ce que m'ont dit certaines des vieilles infirmières, répondit Olivier, plutôt comme s'il se parlait à lui-même que s'il s'adressait à Noé. Je crois savoir ce que ce doit être de mourir de ça ! "


Si l'on aime les histoires d'injustice, de misère, de destin qui s'acharne et l'ironie malsaine, alors il y a de fortes chances d'apprécier Les Aventures d'Olivier Twist. Ce petit garçon, tout le monde le connaît. Né dans un faubourg sale de l'Angleterre du XIXème siècle, orphelin, élevé dans un hospice miséreux, affamé, battu, il s'enfuit pour rejoindre Londres où il rebondit de malheurs en malheurs, tout voué qu'il est à faire de mauvaises rencontres. Cependant, on se doute que l'arrivée de Monsieur Brownlow dans la vie de ce jeune héros lui apportera une fin plus heureuse.

Le ton du roman, loin d'être simplement misérabiliste, joue sur un style ironique et un recul narratif, au travers desquels le lecteur est pris en aparté par un Dickens qui s'amuse à dérouler les aventures du pauvre Olivier avec une jubilation malsaine. On a du mal au bout d'un moment à s'investir dans l'histoire, avec ces rebondissements à répétition et des personnages peu attachants. De plus, les relents d'antisémitisme et une conception très manichéenne des personnages gâchent un plaisir déjà diffus.

Le style a indéniablement vieilli, et lorsque l'on termine le livre, on ne peut s'empêcher de penser que Les Aventures d'Olivier Twist fait partie de ces classiques démodés.


Les aventures d'Olivier Twist, de Charles Dickens, 1839

mardi 16 mars 2010

Le Festival de la couille, et autres histoires vraies, de Chuck Palahniuk



"Sur un chemin de terre qui longe la propriété, les bikers participent au concours de morsure de couille. Assise à l'arrière de la moto, une fille doit réussir à planter ses dents dans un testicule de taureau qui pend sur le parcours au moment ou l'engin passe dessous à toute vitesse"


Ce titre ! Une ode à la poésie des partouzeurs... Il va sans dire qu'il est pour beaucoup dans le choix de ce recueil de nouvelles : on y pressent toute la folie, tous les délurés que l'on va y croiser, tout le non politiquement correct. Et en effet, ces vingt-deux nouvelles sont une chronique drôle et barrée des Etats-Unis, une galerie de portraits touchants, choquants, tordus. Comme l'annonce Chuck Palahniuk dans sa préface : "Tous les récits de ce livre concernent nos rapports avec autrui. Les miens avec les gens. Ou ceux des gens avec les autres".

Ce qui fait la force de ce livre, c'est de savoir que tout y est vrai. Ou presque. Des lutteurs aux écrivains ratés, des drogués aux partouzeurs... On se doute que ces histoires sont inspirées de vraies rencontres, à la tendresse et l'humanisme qui s'en dégagent : l'auteur ne juge pas, il pompe la réalité, la remet sur le papier, et nous la présente dans toute sa folie, son absurdité, ses failles et ses passions. Ainsi le festival de la couille, ou Testy Festy existe bel et bien. Le constucteur de château fort Roger DeClement également.

Exhibitionnisme, pudeur, excès, subversion : les personnages délurés du Festival de la couille participent à brosser la description d'une Amérique d'illuminés.
Et Palahniuk nous prouve que la réalité peut être plus imaginative que la fiction : plus forte, puissante, riche, tordue. Il pousse sa réflexion sur la position de l'écrivain, son rôle d'éponge, de pompeur de vies, de parasite d'émotions. C'est Palahniuk qui se dessine en filigrane au fur er à mesure que les nouvelles défilent. En entrant dans l'envers de ses romans, le lecteur se rapproche de l'auteur, une expérience trouble et fascinante.

Et l'écriture ? Dynamique, franche, crue, rythmée. On ne s'en lasse pas.

Le festival de la couille et autres histoires vraies, de Chuck Palahniuk, éd Denoël, 2005

mercredi 10 mars 2010

Ne jouez pas avec le feu, de Peter Robinson



"J'avais avalé mon troisième somnifère et un second verre de whisky quand il frappa à la porte"


Une fois n'est pas coutume, un polar.
Deux péniches prennent feu en pleine nuit sur les bords du Canal au sud d'Eastvale. On y retrouve le corps carbonisé d'une jeune héroïnomane et d'un artiste raté.
Accident ? Acte d'un pyromane ? Ou crime délibéré ? L'inspecteur Banks opte pour la troisième piste, poussé par un pressentiment et son flair de vieux routier de la police.
On plonge sans réticence aucune dans cet univers de polar parfaitement maîtrisé : brumes froides de l'hiver, cadavres carbonisés, trafic d'art, analyses de la police scientifique... Les personnages respectent les canons du genre : la brigadière sexy et indépendante, femme libre cachant une blessure ancienne; l'ex femme de l'inspecteur principal; le suspect un peu trop idéal, et surtout, l'inspecteur Banks. Amateur de musique classique et de whisky pur malt, divorcé et marié à son métier, séducteur taciturne, fonctionnant au flair et marqué par ses années passées à lutter contre les criminels.
L'intrigue est un peu trop facile cependant, le lecteur devine sans trop de difficultés et très rapidement dans l'histoire, qui est l'auteur des crimes, malgré les pistes un peu farfelues dans lesquelles l'auteur tente de nous perdre.
Mais malgré tout l'équation fonctionne bien, et ce polar se lit avec un plaisir non caché.

Ne jouez pas avec le feu, de Peter Robinson, éd Albin Michel, 2004

lundi 8 mars 2010

Marguerite Duras et la journée de la femme.



"Je vois la femme dans une situation limite, intenable, dansant sur un fil au dessus de la mort"


A l'occasion de la journée de la femme, le Conseil Régional d'Ile de France organisait une grande journée de débats et conférences sur le thème de l'invisibilité de la femme. L'après-midi, la compagnie La Louve aimantée présentait une lecture-spectacle sur le thème de l’égalité femmes-hommes : "Liberté, égalité, féminité !". Voici un extrait choisi, parmi les nombreux textes de Marie NDiaye, Hubertine Auclert ou encore Yasmine Char qui ont été récités avec beaucoup de vergue et de conviction :

" En une matinée de cinq heures, elle fait le petit déjeuner des enfants, elle les lave, elle les habille, elle nettoie sa maison, elle fait les lits, elle fait sa propre toilette, elle s’habille, elle va faire les courses, elle fait la cuisine, elle met la table, en vingt minutes elle fait manger les enfants, elle hurle contre, elle les ramène à l’école, elle fait la vaisselle, elle fait la lessive et le reste, et le reste. Peut-être à trois heures et demie pourrait-elle pendant une demie heure lire un journal. Une bonne mère de famille pour les hommes c’est quand la femme fait de cette discontinuité de son temps une continuité silencieuse et inapparente. Alors l’homme est content. Ca va bien dans sa maison. L’homme du moyen-âge. L’homme de la révolution. L’homme de 2010. Avant c’était donc ainsi. Avant, de quelque côté que je me tourne, quelque soit le siècle dans l’histoire du monde, je vois la femme dans une situation limite, intenable, dansant sur un fil au dessus de la mort. Maintenant, de quelque côté de mon temps que je me tienne, je vois la starlette des offices médiatiques, de tourisme ou de banque, cette première de la classe pimpante et inlassable, au courant de tout de la même façon, dansant sur un fil au dessus de la mort".

Marguerite Duras

mardi 2 mars 2010

Malavita, de Tonino Benacquista




"Le mot que je déteste le plus c'est "repenti". On me traite de repenti, je tire à vue."



Une histoire de maffiosos New-Yorkais repentis installés dans le petit village de Cholong-sur-Avre en Normandie ? Le pitch est alléchant.
La famille Blake, Fred le père écrivain, Maggie la mère investie dans des oeuvres caritatives, Belle la fille si fidèle à son prénom et Warren l'adolescent composent à première vue une famille américaine comme les autres. Ils savent en un rien de temps s'attirer la sympathie du village dans lequel ils viennent de s'installer. Mais les apparences sont souvent trompeuses, et le lecteur découvre vite que Fred n'est autre que Giovanni Manzoni, l'un des parrains repentis de la mafia new-yorkaise. Suite à sa trahison, il a l'ensemble de la pègre à ses trousses et il se terre en France avec sa famille, sous la surveillance d'agents du FBI désabusés.

Tonino Benacquista nous propose avec Malavita un beau scénario, au rythme soutenu et aux personnages amusants. On sent derrière cette écriture légère et très facile à lire la patte du scénariste et ce livre est en effet très proche du cinéma.
C'est peut-être justement à cause de ce style que le lecteur a parfois du mal à prendre l'histoire au sérieux. On suit avec plaisir les tribulations des personnages, mais les aspects parfois caricaturaux et le manque de profondeur fait que Malavita reste un divertissement, rien de plus sérieux. Mais on ne lui en demande pas forcément plus.

Malavita, de Tonino Benacquista, éd Gallimard, 2004

vendredi 26 février 2010

Le grand passage de Cormac McCarthy



"Car ce qui est profondément vrai est vrai aussi dans le coeur des hommes et nul récit ne peut en contrefaire la vérité. C'était donc cela son idée. Si le monde n'est qu'un récit qui d'autre que le témoin peut lui donner la vie ? Pourrait-il trouver ailleurs son existence ? Telle était de plus en plus sa vision des choses. Et il commençait à voir en Dieu une terrible tragédie."



N'étant pas férue de littérature américaine, la lecture de La route en 2009 avait été un vrai saisissement. Le lecteur est frappé de plein fouet par la force de l'écriture, de l'histoire, des dialogues. Les phrases sont réduites à leur essentiel et c'est parce qu'elles sont épurées à l'extrême qu'elles sont si fortes. Il est vrai qu'il y a dans La route une vraie synchronisation entre la nudité des mots et celle de l'intrigue : dans un monde chaotique au bord du néant et où l'humanité survit sans espoir, cette écriture drastique se trouvait parfaitement justifiée.

On retrouve ce style tout à fait marquant dans Le grand passage, le deuxième opus d'une trilogie dans laquelle McCarthy explore "les confins". Il s'attarde ainsi dans le territoire à la frontière des Etats Unis et du Mexique : grandes contrées sauvages, déserts et montagnes, bush et forêts enneigées. Si la nature est sauvage, elle l'est moins que l'homme, qui ressort dans toute sa violence et sa complexité. Mais également dans tout son humanisme et sa perplexité face au monde qui l'entoure.
Le grand passage a des accents de récit initiatique au début : le lecteur suit le jeune Billy Parham, fils de fermiers américains, qui un jour, ne pouvant se résoudre à tuer une louve prise dans l'un des pièges qu'il a tendu avec son père, décide de la ramener de l'autre côté de la frontière, de là où elle vient. Variation sur le thème de croc-blanc. La suite du récit est jalonnée de rencontres fortes et pleines d'enseignements pour le jeune homme de seize ans, et pour le lecteur qui le suit. Réflexions et questions sur le sens de la vie, sur les épreuves que nous envoie dieu pour nous tester (que l'on croit en son existence ou non), sur la fatalité, le destin, le lien entre l'homme et la nature, l'homme et la société... Un roman riche, très riche, à l'écriture puissante. Une vrai force littéraire ressort de chaque page tournée. Avec comme thème dominant la liberté insaisissable, la confrontation entre les aspirations humaines et les murs contre lesquels elles se fracassent violemment. Les longues pages de descriptions ne doivent pas effrayer le lecteur, les considérations auxquelles elle mènent valent vraiment le détour.

Le grand passage, de Cormac McCarthy, éd de l'Olivier, 1994

lundi 22 février 2010

Salvatore, de Nicolas de Crécy (Tomes 1, 2 et 3)



"Est-ce que tu crois qu'en Amérique Latine les mâles sont plus virils qu'en Europe ? A ton avis, une trop longue absence peut-elle entraîner, comment dire?... Une sorte d'oubli ?... Comme une image qui s'efface ?"



Sur Nicolas de Crécy, j'avais un avis partagé. Des dessins parfois sombres, au trait brouillon, prétentieux, un peu violents même. Mais il est également un talentueux narrateur, aux univers poétiques et au dessin parfois sublime. Un auteur difficile à aborder donc, mais certaines de ses bandes-dessinées me disaient explicitement que j'avais tout intérêt à continuer à m'y pencher avec attention.

La sortie du tome 3 de Salvatore, Une traversée mouvementée, était l'occasion de se plonger dans les deux précédents tomes et de découvrir à travers les aventures loufoques de Salvatore, un condensé de ce qui fait que l'on aime de Crécy.

Salvatore est un chien garagiste, qui se nourrit exclusivement de fondu savoyarde, empêtré dans un projet de "mécanique amoureuse", destiné à retrouver l'amour de sa jeunesse, la belle Julie. Cette dernière est une petite chienne blanche issue d'une famille de diplomates qui a du déménager en Amérique Latine. Le destin de Salvatore croise celui d'Amandine, une énorme truie myope et bonne poire, qui donne naissance à treize porcelets sur un toit de Paris. Les destins croisés de ces deux protagonistes vont nous amener à traverser l'Europe, rencontrer des vachettes artistes conceptuelles ou encore l'assistant de Salvatore, un petit humain aux grandes lunettes toujours caché derrière sa "machine" (un ordinateur connecté à Internet).

Ces trois tomes nous offrent le plaisir de retrouver des personnages étranges, mi-humains mi-animaux, avec un graphisme vraiment abouti, des couleurs très belles, et un rythme et un sens de la narration très réussis. Les personnages sont attachants, souvent bourrés de défauts et toujours drôles.
Pas d'essoufflement en vue à la fin du troisième tome, on attend avec impatience le quatrième.



Salvatore, Tomes 1 2 et 3, de Nicolas de Crécy, éd dupuis, 2009

vendredi 19 février 2010

Les Mémoires de Casanova investissent la BNF



"Sa prodigieuse imagination, la vivacité de son pays, ses voyages, tous les métiers qu’il a faits, sa fermeté dans l’absence de tous les biens moraux et physiques, en font un homme rare, précieux à rencontrer, digne même de considération et de beaucoup d’amitié de la part du très petit nombre de personnes qui trouvent grâce devant lui". Charles-Joseph de Ligne



On a appris hier qu'après de rocambolesques rebondissements, la Bibliothèque Nationale a acquis un manuscrit exceptionnel de Giacomo Casanova. Il s'agit de L'histoire de ma vie, rédigé entièrement en français par le fameux séducteur italien. L'acquisition a été signée par le ministre de la culture lui même. Frédéric Mitterrand a ainsi marqué l'importance et la rareté d'une telle acquisition le 11 février dernier. Une telle possession a pu être possible grâce à l'apport d'un mécène anonyme et très généreux, qui a déboursé 7 millions d'euros.

L'histoire de l'édition des Mémoires de Casanova commence à la mort du vénitien libertin, écrivain, diplomate, bibliothécaire, en 1798. Il lègue ce manuscrit de plus de 3700 pages à son neveu. Les enfants de ce dernier le confient en 1821 à l'éditeur allemand Brockhaus-Plon. Commence alors un périple qui s'arrêtera en 1960, lorsque cette même maison publie pour la première fois la version des Mémoires originaux.

Un texte qui fait rêver collectionneurs, casanovistes et autres amoureux des livres. L'ensemble est apparemment très riche, truffé de détails inédits, rassemblant l'ensemble des conquêtes de cet impénitent séducteur (il en compte 122, dont sa propre fille !). On a envie d'aller se plonger dans ce vieux papier, couvert de ratures, de phrases rayées et de l'écriture serrée du célèbre libre penseur. Il s'agira d'être un peu patient, apparemment la BNF compte numériser au plus vite ce manuscrit, et organiser d'ici 2011 une exposition pour présenter l'oeuvre dans son contexte. En attendant, on peut se replonger dans Casanova de Fellini, pour s'imprégner de ce personnage truculent.