vendredi 25 juin 2010

Appelez-moi par mon prénom, de Nina Bouraoui




"Il ne s'agissait pas d'attirance ou de jeu. il fallait trouver quelqu'un qui ferait oublier. Oublier la peur. Oublier la violence. Oublier la jeunesse perdue. Oublier le vide. Oublier la nuit qui nous aspirait. Oublier l'idée que nous allions tous un jour disparaître et que d'autres danseraient à nos places sur les mêmes chansons. L'amour semblait compliqué."


C'est l'histoire d'une écrivaine qui lors d'une séance de dédicaces rencontre un lecteur. Il lui offre une vidéo et un CD. C'est le début d'une histoire d'amour à distance, en silence d'abord, puis avec des mots, des paroles, et une deuxième rencontre fantasmée, rêvée, attendue.
Nina Bouraoui a une écriture bien à elle, vive, incisive, douce, organique. Les phrases sont courtes, ciselées, une vraie dentelle délicate et charnelle. Elle retranscrit à merveille l'attente amoureuse, la naissance des sentiments, le manque, la montée du désir. L'image de l'autre, la construction de soi à travers la rencontre, la puissance d'un amour à venir sont des thèmes qu'elle traite avec une vraie maîtrise et que son écriture raconte avec ferveur. Appelez-moi par mon prénom réussit à surprendre avec un thème pourtant bien connu : l'obsession amoureuse qui tend vers le vertige.
Une vraie découverte pour moi qui entendait parler de cette auteure depuis longtemps sans avoir jamais plongé dans son univers.

Appelez-moi par mon prénom, de Nina Bouraoui, éd Stock, 2008

jeudi 10 juin 2010

Sans un mot, de Harlan Coben



"- Salut, Marianne, dit-il.
Elle ne pouvait ni bouger ni respirer. Il s'assit à côté d'elle, leva le poing et la frappa violemment au ventre. Si jusque là la douleur avait été soutenable, à présent elle atteignait une tout autre dimension.
- Où est la cassette ? demanda-t-il.
Et il commença à la massacrer."


Quand on ouvre un livre de Harlan Coben, le ton est donné : efficacité et rythme. Voilà, c'est bien un roman d'Harlan Coben, pas de surprise, le scénario est taillé sur mesure et le suspense savamment orchestré. On sait que l'on ne va pas s'ennuyer, que dans quelques heures ce sera terminé et que durant ce court laps de temps on n'aura lâché son bouquin que pour les urgences avérées, et encore. On plonge dans un Harlan Coben comme on s'installe dans une salle de cinéma pour un bon thriller.
Avec Sans un mot, ça n'a pas manqué : dès la fin du premier chapitre, j'étais entraînée et je n'ai quitté mon livre qu'au dernier mot de la dernière phrase. Efficace vous disais-je !
Alors, si la méthode de Coben est parfaitement rodée, avec un suspense implacable, des personnages bien dessinés et des rebondissements inattendus, j'ai cependant tiqué sur certains points. D'abord, cette manie de plus en plus courante dans les polars de mêler plusieurs intrigues les unes aux autres pour mieux perdre le lecteur et rendre le récit plus dense. Dans l'idée, je ne suis pas contre ; mais c'est en terme de crédibilité que l'histoire en prend un coup. On a du mal à croire que dans un quartier aisé et tranquille de la banlieue de New York, une poignée de voisins soient à leur insu liés par autant de liens farfelus ( avec entre autres l'irruption d'un psychopathe tueur, un violeur, un trafiquant, une belle soeur, un instituteur...). Autre petit détail gênant : le personnage du psychopathe justement, est un peu tiré par les cheveux... Et puis il n'était nul besoin de l'attifer d'une acolyte marquée par les horreurs de la guerre pour le rendre crédible. Ce duo est un peu bancal, dommage.
Mais comme à son habitude, la sauce prend, et Sans un mot se lit dans un souffle, parce que finalement, on n'en demande pas plus à un bon thriller...

Sans un mot, de Harlan Coben, éd Belfond, 2009

mardi 8 juin 2010

Mémoires de la jungle, de Tristan Garcia




"Pour l'heure, Doogie, tu es moins qu'un animal et tu n'as plus grand-chose de l'humain. Comment, oh ciel qui rit de moi qui pleut, comment toi, Doogie pleurnichard, iras-tu jamais plus loin qu'un presque rien?"


On l'attendait depuis longtemps... Tristan Garcia nous avait littéralement soufflés avec sa "Meilleure part des hommes", son premier roman qui avait raflé le prix de Flore en 2008. Le jeune auteur nous offrait à l'époque une chronique polyphonique des années sida en France, étonnante de maîtrise, qui fut l'une des révélations de la rentrée littéraire.

Changement total de décor pour son second livre, Mémoires de la jungle. Ici tous les repères sont chamboulés : le narrateur est un chimpanzé éduqué, qui vit à une époque éloignée de quelques siècles de la notre, une époque où les hommes ont conquis l'espace, éduqué l'animal et où la terre dépeuplée au profit d'autres planètes habite quelques populations parsemées de scientifiques et ethnologues. Doogie, le narrateur, est un chimpanzé mâle, élevé comme un petit garçon dans une famille de scientifiques : Doogie s'habille, dort dans un lit, parle le langage des humains et a renié la part animale qui est en lui. Jusqu'au jour où suite à un accident de navette qui le ramène sur terre, il se retrouve perdu dans la jungle et contraint de renouer avec ses instincts primaires refoulés. Doogie vit un dilemme philosophique et éthique difficile : retrouver sa condition animale pour survivre, au détriment de l'humanité qu'il avait acquise. Autour de ce retour à la Nature, Tristan Garcia tisse les thèmes de la culpabilité, de la mémoire, de la morale, de la part de l'animal qui sommeille en nous, de la force des acquis mais également des instincts. Il dresse une fable qui oscille habillement entre science-fiction et philosophie.

Tristan Garcia réalise également une prouesse stylistique incroyable en choisissant comme narrateur un singe, jouant ainsi sur les niveaux de langage.
Un exercice osé et courageux, difficile cependant à suivre pour le lecteur. La lecture nécessite en effet une concentration rare. Mais on ne peut qu'admirer l'écriture ainsi inventée par l'écrivain : il joue avec les codes, mélange une oralité naïve et empreinte de néologismes à une langue très sophistiquée. "Le goût de l'odeur des fibres du fruit était dans ma bouche du délice, puis j'ai essuyé mes babines en fermant les yeux, j'ai lavé à la flaque mes mains et le ventre plein, oh bonheur de la j-Jungle, la Nature n'est-elle pas faite parfaite? j'ai fait comme monsieur Gardner le dimanche dans la civilisation la sieste en dormant les doigts croisés sur la poitrine (...). J'ai aimé la Nature, Janet, pardonne-moi".
Cette langue nous guide dans une quête de l'animalité, loin de la civilisation qui nous forge. Expérience déroutante.

Mémoires de la jungle, de Tristan Garcia, éd Gallimard, 2010