vendredi 30 avril 2010

Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé



"La forêt en entier était accablée et immobile sous les trombes d'eau qui la maintenaient tête penchée. Vera Candida se dit, La forêt est une pénitente. Puis elle pensa, Je m'en vais. Et encore, Je m'en vais et personne ne me regrettera. Ce qui était faux, bien entendu."



Ce que je sais de Vera Candida prend dès le début des airs de fable : Véronique Ovaldé nous emmène à Vatapuna, une île imaginaire, une Amérique latine fantasmée. Nature luxuriante, misère, poissons volants, chaleur écrasante, cabane en bord de plage : le décor est planté. L'histoire nous plonge dans une ambiance très féminine : Ce que je sais de Vera Candida c'est en effet une lignée de trois femmes, Rose Bustamente, Violette et Vera Candida. Nous sont contées les relations mère-fille et petite fille-grand mère qu'elles tissent, leurs relations aux hommes, violentes, subies, passionnées. C'est aussi le destin que l'on contre et les racines qui nous rappellent qui nous sommes. Il y a des fantômes, des envoûtements, des rêves et de belles histoires d'amour.

L'écriture de Véronique Ovaldé est unique : vive, envolée, follement rythmée, l'auteure porte son lecteur d'un bout à l'autre de son roman sans lui laisser le temps de souffler. Les dialogues sont parfaitement fondus dans le texte, les pensées s'y s'entremêlent et le tout donne au final un texte fluide, porteur et d'une évidence absolue.

Un petit bémol pour la fin du roman, où le rythme s'écrase un peu dès que Véronique Ovaldé quitte le domaine de la fable pour narrer un quotidien plus réaliste. Le style s'essouffle un peu, mais retrouve vite sa verve pour les derniers chapitres.

Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé, éd de l'Olivier, 2009.

dimanche 18 avril 2010

Un très grand amour, de Franz-Olivier Giesbert



"De même que nous marchons sur le terreau pourrissant de nos ancêtres, nous piétinons allègrement nos passions éteintes que nous entassons les unes sur les autres. Le très grand amour est éphémère mais les ruines sont éternelles."



Qui dit très grand amour, dit forcément très grande douleur, très grande remise en question et très belle introspection. L'histoire d'Antoine, écrivain "sans livre" sur le déclin, mondain parisien déchu, séducteur, enchaînant les femmes et les maîtresses, pourrait pourtant sembler bien ennuyeuse au premier abord. Ces thématiques ne sont pas rares. mais dans "Un très grand amour", l'homme se met à nu face à la femme clef de son existence. Celle qui est l'élément perturbateur d'une mécanique ennuyeuse bien huilée, celle qui provoque le coup de foudre qui va le faire revivre avant de le faire mourir pour une énième fois. Le narrateur Antoine a trop de points en commun avec son auteur Franz-Olivier Giesbert pour ne pas deviner à quel point ce roman a une part autobiographique. Si le lecteur a envie d'être touché par l'éclairage sans complaisance sur un personnage souvent méprisable, l'histoire manque cependant trop de profondeur pour que l'on puisse compatir avec les malheurs d'Antoine.

Antoine, cet homme qui aime les femmes, les enfants, la nature, les livres, tout, tout le monde, ou presque. Il est un grand dépendant des autres, et sème son amour comme il distribue sa semence, généreusement, avidement.

Le roman revient sur le très grand amour que vit Antoine avec Isabella, un amour trop grand, trop éloigné des réalités, avec cette femme, phobique chronique qui préfère se couper du monde et de ce qui l'effraie quitte à se contenter d'une "vie étriquée" plutôt que de prendre des risques. Une phobie qui se développe d'autant plus face au cancer de la prostate d'Antoine.

On peut regretter certains dialogues qui pèchent par manque de rythme et de réalisme, et des répliques qui tombent à plat. Mais elles sont rattrapées par un sens de la formule facile, qui apportent comme une ponctuation au texte : "J'ai toujours eu du mal à aimer les gens qui me détestent", "elle était nue dans son regard", "les romans sont des histoires vraies racontées par des menteurs". Mais FOG a une tendance agaçante qui nous rappelle Beigbeder : il utilise son livre comme un recueil de citations à tout va, une méthode qui pousse à se demander si ces écrivains qui citent leurs pairs ne sont pas trop conscients de leurs limites pour oser aller se frotter à eux ou s'ils ne sont pas tout simplement en manque d'inspiration. On ne sait quelle version préférer.

Reste que le texte en soit n'est pas désagréable à lire malgré quelques formules un peu trop lyriques, ou clichées. Il porte un optimisme doux-amer, et nous montre malgré tout comment un très grand amour peut déboucher sur un vrai amour. Ou comment l'amour a mille facette et une vie entière de séducteur acharné est à peine suffisante pour toutes les explorer.

Un très grand amour, de Franz-Olivier Giesbert, éd Gallimard, 2010

mardi 13 avril 2010

Les lieux sombres, de Gillian Flynn



" La mesquinerie qui m'habite est aussi réelle qu'un organe. Si on me fendait le ventre, elle pourrait fort bien se glisser dehors, charnue et sombre, tomber par terre, et on pourrait sauter dessus à pieds joints.(...) Je n'étais pas une enfant aimable, et je suis devenue une adulte profondément mal aimable. Si on voulait dessiner mon âme, on obtiendrait un gribouillis avec des crocs pointus."


Ce ne sont ni le titre, ni l'auteure, ni même la critique dithyrambique qu'en a faite Stephen King qui m'ont poussées vers Les lieux sombres. Non, c'est la maison d'édition, Sonatines, chaudement recommandée par ma libraire favorite. Une maison qui selon elle est "presque toujours un gage de qualité". Soit. Message reçu, je suis donc repartie avec ce polar de plus de quatre-cents pages dans mon panier. Et après quelques pages, la première surprise : ce roman noir est bel et bien bien écrit. Une narration à la première personne, assez rare et très appréciable dans ce genre (cela nous rappelle A vif de Suzanne Moore), plonge le lecteur au plus profond de la personnalité avide et torturée de son héroïne, Libby Day.

Cette dernière est la seule rescapée du massacre de sa famille, qui a eu lieu vingt-cinq ans plus tôt, alors qu'elle était âgée de sept ans. C'est suite à son témoignage que son grand frère Ben est inculpé et incarcéré pour le meurtre particulièrement violent aux accents satanistes de sa mère et de ses deux petites soeurs. Lorsqu'un quart de siècle plus tard les membres d'un club d'un genre étrange lui demandent de reconsidérer son témoignage en l'échange d'argent, elle n'hésite pas longtemps avant de remonter le fil de l'enquête, et de remettre en question ses certitudes. Le roman alterne alors les chapitres relatant le présent et l'enquête de Libby sur son passé, et les chapitres concentrés sur la veille du meurtre, le 3 janvier 1985.

L'auteure jongle très habilement entre les deux époques et les différents personnages qui en sont les protagonistes. Pas de manichéisme, de méchants contre les gentils ou d'intrigue cousue de fil blanc : les caractères sont très réalistes, chacun ayant ses petits vices et gros défauts, sa part d'ombre et ses élans d'humanité. Tous participent à une réflexion sombre et pertinente sur la manipulation et la faiblesse : ce qu'elles nous poussent à faire, à croire, à dissimuler.

Gillian Flynn tisse la toile de son polar avec un rythme certain, un vrai talent pour disséminer les indices et les informations, et au final on ne peut qu'applaudir le scénario. Pas d'aberration, pas d'évidences, pas d'alibis tirés par les cheveux : c'est aussi à cela que l'on reconnaît un bon thriller, quand les règles du jeu sont respectées intelligemment, sans grossièreté, avec élégance et efficacité.

Les lieux sombres, de Gillian Flynn, éd Sonatines, 2010

jeudi 8 avril 2010

La littérature jeunesse, pour quoi faire ?



"Dans une société qui a tendance à faire de l'enfant une victime de l'adulte, la littérature jeunesse offre une autre voie, joyeuse et optimiste, où l'adulte n'est plus celui qui menace mais celui qui révèle."


Alors que les voix s'élèvent autour du sort du salon du livre de jeunesse de Montreuil, menacé par les baisses drastiques de subvention, le cinéaste Christophe Honoré prend la parole aujourd'hui dans Le Monde. Son intervention, titrée "Êtes-vous pour une jeunesse sans littérature ?", alarme sur le dédain et l'ignorance que subit la littérature jeunesse en général. Sous-livres, babillage pour bambins, histoires "douce(s) et tendre(s)" sirupeuses : la vision des livres pour enfants est bardée de clichés et d'a priori grossiers. De plus, "une masse de livres idiots fait barrage entre l'enfant et la vraie littérature. Et les parents bienveillants font rarement des bons prescripteurs de livres pour leurs enfants." D'où l'importance de soutenir les initiatives qui proposent d'enrichir et de révéler ce qu'est la littérature jeunesse. Cette passerelle entre le monde adulte et celui des enfants, cette porte ouverte sur la découverte, l'autonomie et le rêve.

Car les livres pour enfants n'abordent pas seulement des histoires de princesse, de licorne ou d'animaux qui parlent. L'amitié, la mort, l'amour, le divorce, les peurs, l'autre : les livres jeunesse apportent des éclaircissement, une ouverture sur le monde, sur les autres, et des réponses à des questions qui se posent en filigrane à un âge où tout est découverte et nouveauté. Ces jeunes lecteurs seront un jour des adultes marqués par leurs lectures de jeunesse.
Dernier exemple en date, d'un adulte ayant gardé son âme d'enfant : Spike Jonze, qui s'est attelé avec talent à l'adaptation du grand classique de sa jeunesse : Max et les maximonstres.

Comme le dit si bien Christophe Honoré, "un enfant touché par la littérature est un adulte sur qui nous pourrons compter".

Nos préférences en la matière ?
Le Petit Chaperon Rouge, classique revisité par Louise Rowe dans un livre pop-up aux illustrations magnifiques.
Eloïse au Plaza, de Kay Thompson, illustré par Hilary Knight, un incontournable depuis 1955, drôle et piquant !
Les albums beaux et profonds de Kitty Crowther, avec un véritable coup de coeur pour Annie du lac, qui avait été récompensé par le prix Baobab lors de la dernière édition du Salon du livre de jeunesse à Montreuil.


A lire sur lemonde.fr

lundi 5 avril 2010

Incidences, de Philippe Djian



"L'étudiante avait viré au gris-bleu, non qu'il fît particulièrement froid. "Quelle misère, songea-t-il en se penchant sur elle et l'attrapant sous les aisselles, le coeur serré. Quelle tragédie c'était, quand on y pensait. Fauchée si jeune. Comme c'était absurde. Comme c'était révoltant. Et comme c'était un vilain tour qu'on lui jouait à lui aussi. Comme c'était un sale tour qu'on lui jouait d'avoir fait claquer cette cette pauvre fille sous son toit, dans son lit. Pourquoi ne lui avait-on pas mis un poignard entre les mains, pour faire bonne mesure ? Comme c'était rude."


L'histoire commence comme un épisode de Californication : un séduisant professeur d'université quinquagénaire, écrivain raté, accroc à la cigarette et ne disant pas non à une bonne bouteille, ramène chez lui à vive allure une de ses jeunes étudiantes. L'histoire se corse dès le lendemain matin, quand la jeune Barbara ne se réveille pas, "la fille était froide comme un jambon, déjà presque grise". Notre héros, Marc, ne se laisse pas démonter et va se débarrasser du corps au fond d'une crevasse dans la forêt à coté de chez lui. En moins de dix pages, l'intrigue est posée, Philippe Djian ne ménage pas son lecteur. Reste que ce dernier est vite perdu, ne sachant à quoi il a affaire : un récit initiatique, un polar, un roman psychologique ? Et puis on lâche les amarres, et on accepte la règle du jeu, sans poser de questions, en laissant les personnages prendre les devants pour nous.

Marc tombe en effet amoureux de la mère de Barbara, une relation enfin mature qui remet en question le fragile équilibre qu'il a établi avec sa soeur Marianne. Les deux frères et soeurs, aux relations ambiguës, vivent dans une même maison, isolée dans la forêt, travaillent tous les deux à l'université et ont un sens aigu du sacrifice pour l'autre. C'est la relation la plus intéressante du livre, ces deux personnalités énigmatiques et peu sympathiques, on sent une folie à demi mots entre ces deux là, folie qui prend ses racines dans leur enfance. Des flash back glacés et vifs comme des éclairs font ainsi leur apparition et nous montrent une jeunesse violente, une mère cruelle, et nous laissent pressentir une fin peu heureuse.

Quant à Marc, il agace, son flegme, son apologie de la cigarette en permanence, sa façon de compliquer des situations simples, sa mesquinerie, sa naïveté de grand enfant, sa faiblesse aussi. L'histoire prend des détours inattendus, sans crier gare. Philippe Djian ne s'embarrasse pas d'explications, encore moins d'éclaircissements. Il laisse deviner, plonge le lecteur dans le flou, le laisse démêler l'histoire et l'interpréter à sa guise. Pour les non initiés à l'auteur, l'exercice peut s'avérer délicat, voire ennuyeux. Mais le style virtuose est là, l'humour noir, la fausse désinvolture et la noirceur angoissante et pesante.

Reste une belle réflexion sur le métier d'écrivain, sur le travail de l'écriture, comme si Philippe Djian se rappelait à lui même les règles qu'il devait respecter au fil de son roman : à savoir ciseler le rythme, les couleurs, les sonorités. Il maîtrise ainsi avec perfection une narration du non-dit, du flou, de la suggestion, jusqu'à une fin pour le moins explosive.

Incidences, de Philippe Djian, éd Gallimard, 2010