" Vous rejoignez les forces spéciales et vous entraînez dans des châteaux nommés House, Manor, ou Villa, à travers toute l'Ecosse et l'Angleterre. Vous sautez, vous luttez, vous dégoupillez. Vous êtes bon. Vous plaisez aux filles. Vous flirtez avec les petites Anglaises. Vous buvez le thé chez leurs parents qui vous trouvent charmant. Vous continuez à vous entraîner en vue de la plus grande mission qu'un pays ait jamais confiée à deux hommes seuls. Vous croyez en la justice, et vous croyez en la vengeance. Vous êtes valeureux, volontaire et doué. Vous êtes prêt à mourir pour votre pays. Vous devenez quelque chose qui grandit en vous et progressivement commence déjà à vous dépasser, mais vous restez aussi tellement vous-même. Vous êtes un homme simple. Vous êtes un homme.
Vous êtes Jozef Gabčík ou Jan Kubiš , et vous allez entrer dans l'Histoire."
Attention, immense coup de coeur !
Ce roman, je l'ai acheté à cause de son titre. Je n'avais même pas eu la présence d'esprit de regarder la quatrième de couverture (ce que je ne fais absolument jamais à vrai dire), où est expliqué la signification de ce HHhH. Je l'avais juste feuilleté rapidement, intriguée par ces quatre lettres, et puis le mot "Prague" est revenu plusieurs fois, et ça a suffit à me séduire.
Bien m'en a pris.
A la frontière du roman historique, de l'essai et du thriller,
HHhH a plus d'un attrait.
L'histoire, déjà. C'est celle de l'attentat contre l'homme le plus dangereux du III ème Reich, la bête blonde, le boucher de Prague, le bras droit d'Himmler, le SS-Obengruppenführer, le planificateur de la solution finale : j'ai nommé Heydrich. Reinhardt Heydrich, que l'on surnomme Himmler Hirn Heisst Heydrich : "le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich". Voilà le titre énigmatique percé à jour.
Deux jeunes résistants tchèques et slovaques, Jozef Gabčík et Jan Kubiš ont pour mission de le supprimer. Ils sont parachutés dans la campagne tchèque par le gouvernement (enfin ce qu'il en reste) en exil à Londres, et rejoignent tant bien que mal le réseau de la résistance praguoise. S'ensuit une année de doutes, de nuits blanches, de détermination, de repérages : le quotidien de résistants sous le joug nazi.
HHhH c'est donc une histoire de courage, de trahison, de grandeur d'âme et de résistance, qui met en avant les hommes de l'ombre qui ont changé le cours de l'histoire. Et puis il y a en parallèle la montée du Nazisme, le développement de la solution finale, les premiers camps de concentration, les massacres par dizaines de milliers, et au dessus de ce bourbier terrifiant, Heydrich, dont la soif de puissance ne tarit pas. Florent Binet croise avec virtuosité tous ces destins, sur fond de vieille Europe.
Il y a d'ailleurs ce point qui me parle particulièrement : l'auteur décrit les rues de Prague, ville qu'il aime (et que j'aime), qui résonnent au son des talons des bottes des SS, la cloche des tramways qui retentit dans les rues, le fleuve qui s'écoule sous le pont Charles, la rue Resslova, et tout ce décor tchèque qui est plus vrai que nature, et dans lequel va se dérouler la tentative d'assassinat contre Heydrich.
Et puis il y a le style de Binet et ses questionnements incessants sur le rapport entre l'Histoire avec un grand H et la fiction. Il fait part avec une grande honnêteté et une franchise rare de ses réticences à créer des personnages à partir d'êtres réels, d'interpréter, de romancer, de transformer l'histoire pour le roman. Il explique et on comprend : ses doutes, ses peurs d'écrivain, sa légitimité à raconter. A tel point que le récit du passé et la voix de l'auteur se croisent à un moment, pour se rejoindre et finalement ne former plus qu'un. Bluffant.
HHhH, de Laurent Binet, ed Grasset, 2010