vendredi 26 mars 2010

Sévère, de Régis Jauffret



" Je l'ai rencontré un soir de printemps. Je suis devenue sa maîtresse. Je lui ai offert la combinaison en latex qu'il portait le jour de sa mort. Je lui ai servi de secrétaire sexuelle. Il m'a initiée au maniement des armes. Il m'a fait cadeau d'un revolver. Je lui ai extorqué un million de dollars. Il me l'a repris. Je l'ai abattu d'une balle entre les deux yeux. Il est tombé de la chaise où je l'avais attaché. Il respirait encore. Je l'ai achevé."


Le dernier roman de Régis Jauffret, Lacrimosa, était déjà un roman puissant, bouleversant, très dur. On retrouve dans Sévère cette même écriture méticuleuse et tortueuse, un style vif, très imagé. Outre la plume de Jauffret que l'on retrouve avec délectation, ce sont ses considérations sur le rapport entre réel et fiction qui nous rattrapent. Il joue sur les deux tableaux avec virtuosité, et dès la préface nous met en garde sur la fiction. Si "elle éclaire comme une torche" la réalité, "la fiction ment". Une précision nécessaire, quand on sait que Sévère relate un fait divers sordide, l'assassinat du banquier Edouard Stern par sa maîtresse Cécile Brossard. Régis Jauffret se dédouane de toute attaque en interpellant le lecteur : "ne croyez pas que cette histoire est réelle, c'est moi qui l'ait inventée".

C'est ainsi l'imagination qui prend le dessus, et l'auteur rentre dans la peau de la meurtrière pour nous raconter sa relation destructrice avec son puissant amant. La narratrice évoque ainsi dans un flot de paroles dérangées leurs jeux sexuels, les rapports de force et de soumission qu'elle entretenait avec l'homme qu'elle tuera de quatre balles. Le corps sera retrouvé dans une chambre d'hôtel, compressé dans une combinaison intégrale en latex de couleur chair, gonflé de sang.

Dans Sévère, tout est mensonge. La frontière entre réalité et imagination est floutée, le lecteur s'en remet à la narratrice, se perd avec elle dans les humiliations, les frustrations, l'aveuglement que provoquent un bain mouvementé d'argent, de sexe et de pouvoir.

On ne cherche pas à comprendre, on se laisse manipuler par l'esprit vagabond et dissimulateur de la narratrice, une femme perdue, "secrétaire sexuelle" de son amant, victime et bourreau à la fois. On ne sait jamais vraiment qui elle est, et le fait que Jauffret porte sa voix nous égare d'autant plus. Intelligente ? Affabulatrice ? Vénale ? Amoureuse irraisonnable ? Sans savoir démêler le vrai du faux, le lecteur avance dans l'intrigue dont il connaît la fin. C'est là aussi la force de ce roman : le lecteur se moque de connaître la vérité, et peu importe le dénouement final puisque la narratrice le dit elle-même "c'est comme si cette histoire était arrivée à une autre".

L'ambiance est glauque, un peu écoeurante, et l'on referme la dernière page essoufflé, embarrassé, avec ce sentiment d'avoir été le voyeur d'une histoire que l'on ne comprendra pas entièrement.

Sévère, de Régis Jauffret, éd du Seuil, 2010

1 commentaire:

  1. J'ai vu l'auteur parler de son livre à la télévision! Il ne m'avait pas donné envie de le lire mais après ce que tu en dis, pourquoi pas!

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