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mardi 31 août 2010

Eldorado, de Laurent Gaudé



" "Un vieillard, pensa-t-il, voilà ce que je deviens. Et les jeunes gens que j'intercepte, eux, sont toujours plus forts. Ils ont dans leurs muscles la force et l'autorité de leurs vingt ans. Ils essaient de passer et réessaieront une fois, deux fois, trois fois s'il le faut." C'était cela, oui. Le gardien de la citadelle était fatigué tandis que les assaillants étaient sans cesse plus jeunes. Et ils étaient beaux de cette lumière que donne l'espoir au regard."


J'avais découvert Laurent Gaudé avec Le Soleil des Scorta, l'histoire de cette famille maudite des Pouilles, écrasée par le destin comme par la chaleur de cette terre aride et lourde de traditions.
Je le retrouve avec Eldorado, un roman ancré dans l'actualité. Celle de l'immigration illégale, mais toujours avec l'Italie en toile de fond, la chaleur écrasante, la présence de la mer, cette entité puissante, parfois menaçante et sauvage, d'autres fois amie et alliée. Laurent Gaudé y soulève la question de la frontière, celles entre les hommes, entre les cultures, entre les pays. L'Eldorado est derrière cette frontière, où "l'herbe sera grasse et les arbres chargés de fruits... Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse".

Entre récit politique et fable, Laurent Gaudé laisse toujours une part au conte, au lyrisme, fait de son récit une histoire intemporelle, la force des hommes comme constante. Eldorado, ce sont les destins croisés du commandant Salvatore Piracci, commandant d'une frégate italienne chargée d'intercepter les bateaux d'immigrants arrivant du large, de deux frères soudanais qui entreprennent la route cruelle et mythique vers l'eldorado, une jeune rescapée de ce voyage en enfer déterminée à en découdre avec les responsables de ces traversées barbares... L'eldorado ici c'est l'Europe, terre promise, qui pousse les hommes les plus démunis à entreprendre un voyage que peu réussissent. Des cargaisons humaines prêtes à tout pour une vie meilleure se lancent dans l'aventure. Au risque de tout perdre, au risque de se perdre.

On retrouve le talent de l'auteur pour retranscrire avec vérité et art, comme un tableau, le côté criant et vivant des choses, leurs odeurs, leur toucher, leur force, leur douceur. Ce livre n'est pas sans douleur et remise en question, on ne sort pas indemne de sa lecture. Mais les talents de conteur de Laurent Gaudé en font une lecture facile et entraînante, où le lecteur se laisse aussi bien porter par les mots que par la galerie de personnages aux histoires fragiles et profondes.

Eldorado, de Laurent Gaudé, éd Actes Sud, 2006

mercredi 25 août 2010

L'attrape-coeurs, de J.D.Salinger



"Elle s'est mise à danser un boogie-woogie avec moi mais pas ringard, tout en souplesse. Elle était vraiment douée. Je la touchais et ça suffisait. Et quand elle tournait sur elle-même, elle tortillait du cul si joliment. J'en restais estomaqué. Sans blague. Quand on est allés se rasseoir j'étais à moitié amoureux d'elle. Les filles c'est comme ça, même si elles sont plutôt moches, même si elles sont plutôt connes, chaque fois qu'elles font quelque chose de chouette on tombe à moitié amoureux d'elles et alors on sait plus où on en est. Les filles. Bordel. Elles peuvent vous rendre dingue. Comme rien. Vraiment."


Lire L'attrape-coeurs n'était pas chose gagnée. Non pas que ce livre ne m'attirait pas, loin de là. Mais l'attrape-coeur est un tel classique que j'étais absolument persuadée de l'avoir déjà lu. Persuadée. Bien m'a pris donc de jeter un oeil à la première page hier soir, à la recherche d'un court roman pour la soirée. Le style me percute dès la première phrase, et je sais à la fin de la première page que ce livre m'est inconnu. Oh joie ! C'est toujours un plaisir de pouvoir découvrir avec innocence un grand classique !

Et je fut conquise, entièrement. Pas une seule réserve, pas une once de déception, L'attrape-coeurs est un bijou de sensibilité, d'humour, de New-York, de circonvolutions d'adolescent.
Holden Caufield est l'anti-héros touchant et amusant de ce court roman, un ado désemparé qui se fait renvoyer de son école préparatoire, et qui erre dans les rues de New York avant le retour au bercail. Bars de nuit, rhum sodas, prostituées et rencontres en tous genres rythment ce récit dont la narration est un régal. Le mal-être adolescent, la difficulté à s'exprimer, à se trouver, les bravades inhérente à cet âge aux frontière de l'âge adulte font de ce roman un récit qui touche forcément le lecteur, et l'adolescence qu'il a quittée, parfois à regret, souvent avec difficulté... C'est ainsi qu'il se dégage du récit d'Holden Caufield une mélancolie particulière, une familiarité qui nous touche forcément.
Un seul regret : ne pas avoir lu L'attrape-coeurs à mes 16 ans.

L'attrape-coeurs, J.D. Salinger, éd Laffont, 1951

mardi 8 juin 2010

Mémoires de la jungle, de Tristan Garcia




"Pour l'heure, Doogie, tu es moins qu'un animal et tu n'as plus grand-chose de l'humain. Comment, oh ciel qui rit de moi qui pleut, comment toi, Doogie pleurnichard, iras-tu jamais plus loin qu'un presque rien?"


On l'attendait depuis longtemps... Tristan Garcia nous avait littéralement soufflés avec sa "Meilleure part des hommes", son premier roman qui avait raflé le prix de Flore en 2008. Le jeune auteur nous offrait à l'époque une chronique polyphonique des années sida en France, étonnante de maîtrise, qui fut l'une des révélations de la rentrée littéraire.

Changement total de décor pour son second livre, Mémoires de la jungle. Ici tous les repères sont chamboulés : le narrateur est un chimpanzé éduqué, qui vit à une époque éloignée de quelques siècles de la notre, une époque où les hommes ont conquis l'espace, éduqué l'animal et où la terre dépeuplée au profit d'autres planètes habite quelques populations parsemées de scientifiques et ethnologues. Doogie, le narrateur, est un chimpanzé mâle, élevé comme un petit garçon dans une famille de scientifiques : Doogie s'habille, dort dans un lit, parle le langage des humains et a renié la part animale qui est en lui. Jusqu'au jour où suite à un accident de navette qui le ramène sur terre, il se retrouve perdu dans la jungle et contraint de renouer avec ses instincts primaires refoulés. Doogie vit un dilemme philosophique et éthique difficile : retrouver sa condition animale pour survivre, au détriment de l'humanité qu'il avait acquise. Autour de ce retour à la Nature, Tristan Garcia tisse les thèmes de la culpabilité, de la mémoire, de la morale, de la part de l'animal qui sommeille en nous, de la force des acquis mais également des instincts. Il dresse une fable qui oscille habillement entre science-fiction et philosophie.

Tristan Garcia réalise également une prouesse stylistique incroyable en choisissant comme narrateur un singe, jouant ainsi sur les niveaux de langage.
Un exercice osé et courageux, difficile cependant à suivre pour le lecteur. La lecture nécessite en effet une concentration rare. Mais on ne peut qu'admirer l'écriture ainsi inventée par l'écrivain : il joue avec les codes, mélange une oralité naïve et empreinte de néologismes à une langue très sophistiquée. "Le goût de l'odeur des fibres du fruit était dans ma bouche du délice, puis j'ai essuyé mes babines en fermant les yeux, j'ai lavé à la flaque mes mains et le ventre plein, oh bonheur de la j-Jungle, la Nature n'est-elle pas faite parfaite? j'ai fait comme monsieur Gardner le dimanche dans la civilisation la sieste en dormant les doigts croisés sur la poitrine (...). J'ai aimé la Nature, Janet, pardonne-moi".
Cette langue nous guide dans une quête de l'animalité, loin de la civilisation qui nous forge. Expérience déroutante.

Mémoires de la jungle, de Tristan Garcia, éd Gallimard, 2010

vendredi 30 avril 2010

Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé



"La forêt en entier était accablée et immobile sous les trombes d'eau qui la maintenaient tête penchée. Vera Candida se dit, La forêt est une pénitente. Puis elle pensa, Je m'en vais. Et encore, Je m'en vais et personne ne me regrettera. Ce qui était faux, bien entendu."



Ce que je sais de Vera Candida prend dès le début des airs de fable : Véronique Ovaldé nous emmène à Vatapuna, une île imaginaire, une Amérique latine fantasmée. Nature luxuriante, misère, poissons volants, chaleur écrasante, cabane en bord de plage : le décor est planté. L'histoire nous plonge dans une ambiance très féminine : Ce que je sais de Vera Candida c'est en effet une lignée de trois femmes, Rose Bustamente, Violette et Vera Candida. Nous sont contées les relations mère-fille et petite fille-grand mère qu'elles tissent, leurs relations aux hommes, violentes, subies, passionnées. C'est aussi le destin que l'on contre et les racines qui nous rappellent qui nous sommes. Il y a des fantômes, des envoûtements, des rêves et de belles histoires d'amour.

L'écriture de Véronique Ovaldé est unique : vive, envolée, follement rythmée, l'auteure porte son lecteur d'un bout à l'autre de son roman sans lui laisser le temps de souffler. Les dialogues sont parfaitement fondus dans le texte, les pensées s'y s'entremêlent et le tout donne au final un texte fluide, porteur et d'une évidence absolue.

Un petit bémol pour la fin du roman, où le rythme s'écrase un peu dès que Véronique Ovaldé quitte le domaine de la fable pour narrer un quotidien plus réaliste. Le style s'essouffle un peu, mais retrouve vite sa verve pour les derniers chapitres.

Ce que je sais de Vera Candida, de Véronique Ovaldé, éd de l'Olivier, 2009.

lundi 5 avril 2010

Incidences, de Philippe Djian



"L'étudiante avait viré au gris-bleu, non qu'il fît particulièrement froid. "Quelle misère, songea-t-il en se penchant sur elle et l'attrapant sous les aisselles, le coeur serré. Quelle tragédie c'était, quand on y pensait. Fauchée si jeune. Comme c'était absurde. Comme c'était révoltant. Et comme c'était un vilain tour qu'on lui jouait à lui aussi. Comme c'était un sale tour qu'on lui jouait d'avoir fait claquer cette cette pauvre fille sous son toit, dans son lit. Pourquoi ne lui avait-on pas mis un poignard entre les mains, pour faire bonne mesure ? Comme c'était rude."


L'histoire commence comme un épisode de Californication : un séduisant professeur d'université quinquagénaire, écrivain raté, accroc à la cigarette et ne disant pas non à une bonne bouteille, ramène chez lui à vive allure une de ses jeunes étudiantes. L'histoire se corse dès le lendemain matin, quand la jeune Barbara ne se réveille pas, "la fille était froide comme un jambon, déjà presque grise". Notre héros, Marc, ne se laisse pas démonter et va se débarrasser du corps au fond d'une crevasse dans la forêt à coté de chez lui. En moins de dix pages, l'intrigue est posée, Philippe Djian ne ménage pas son lecteur. Reste que ce dernier est vite perdu, ne sachant à quoi il a affaire : un récit initiatique, un polar, un roman psychologique ? Et puis on lâche les amarres, et on accepte la règle du jeu, sans poser de questions, en laissant les personnages prendre les devants pour nous.

Marc tombe en effet amoureux de la mère de Barbara, une relation enfin mature qui remet en question le fragile équilibre qu'il a établi avec sa soeur Marianne. Les deux frères et soeurs, aux relations ambiguës, vivent dans une même maison, isolée dans la forêt, travaillent tous les deux à l'université et ont un sens aigu du sacrifice pour l'autre. C'est la relation la plus intéressante du livre, ces deux personnalités énigmatiques et peu sympathiques, on sent une folie à demi mots entre ces deux là, folie qui prend ses racines dans leur enfance. Des flash back glacés et vifs comme des éclairs font ainsi leur apparition et nous montrent une jeunesse violente, une mère cruelle, et nous laissent pressentir une fin peu heureuse.

Quant à Marc, il agace, son flegme, son apologie de la cigarette en permanence, sa façon de compliquer des situations simples, sa mesquinerie, sa naïveté de grand enfant, sa faiblesse aussi. L'histoire prend des détours inattendus, sans crier gare. Philippe Djian ne s'embarrasse pas d'explications, encore moins d'éclaircissements. Il laisse deviner, plonge le lecteur dans le flou, le laisse démêler l'histoire et l'interpréter à sa guise. Pour les non initiés à l'auteur, l'exercice peut s'avérer délicat, voire ennuyeux. Mais le style virtuose est là, l'humour noir, la fausse désinvolture et la noirceur angoissante et pesante.

Reste une belle réflexion sur le métier d'écrivain, sur le travail de l'écriture, comme si Philippe Djian se rappelait à lui même les règles qu'il devait respecter au fil de son roman : à savoir ciseler le rythme, les couleurs, les sonorités. Il maîtrise ainsi avec perfection une narration du non-dit, du flou, de la suggestion, jusqu'à une fin pour le moins explosive.

Incidences, de Philippe Djian, éd Gallimard, 2010

vendredi 26 mars 2010

Sévère, de Régis Jauffret



" Je l'ai rencontré un soir de printemps. Je suis devenue sa maîtresse. Je lui ai offert la combinaison en latex qu'il portait le jour de sa mort. Je lui ai servi de secrétaire sexuelle. Il m'a initiée au maniement des armes. Il m'a fait cadeau d'un revolver. Je lui ai extorqué un million de dollars. Il me l'a repris. Je l'ai abattu d'une balle entre les deux yeux. Il est tombé de la chaise où je l'avais attaché. Il respirait encore. Je l'ai achevé."


Le dernier roman de Régis Jauffret, Lacrimosa, était déjà un roman puissant, bouleversant, très dur. On retrouve dans Sévère cette même écriture méticuleuse et tortueuse, un style vif, très imagé. Outre la plume de Jauffret que l'on retrouve avec délectation, ce sont ses considérations sur le rapport entre réel et fiction qui nous rattrapent. Il joue sur les deux tableaux avec virtuosité, et dès la préface nous met en garde sur la fiction. Si "elle éclaire comme une torche" la réalité, "la fiction ment". Une précision nécessaire, quand on sait que Sévère relate un fait divers sordide, l'assassinat du banquier Edouard Stern par sa maîtresse Cécile Brossard. Régis Jauffret se dédouane de toute attaque en interpellant le lecteur : "ne croyez pas que cette histoire est réelle, c'est moi qui l'ait inventée".

C'est ainsi l'imagination qui prend le dessus, et l'auteur rentre dans la peau de la meurtrière pour nous raconter sa relation destructrice avec son puissant amant. La narratrice évoque ainsi dans un flot de paroles dérangées leurs jeux sexuels, les rapports de force et de soumission qu'elle entretenait avec l'homme qu'elle tuera de quatre balles. Le corps sera retrouvé dans une chambre d'hôtel, compressé dans une combinaison intégrale en latex de couleur chair, gonflé de sang.

Dans Sévère, tout est mensonge. La frontière entre réalité et imagination est floutée, le lecteur s'en remet à la narratrice, se perd avec elle dans les humiliations, les frustrations, l'aveuglement que provoquent un bain mouvementé d'argent, de sexe et de pouvoir.

On ne cherche pas à comprendre, on se laisse manipuler par l'esprit vagabond et dissimulateur de la narratrice, une femme perdue, "secrétaire sexuelle" de son amant, victime et bourreau à la fois. On ne sait jamais vraiment qui elle est, et le fait que Jauffret porte sa voix nous égare d'autant plus. Intelligente ? Affabulatrice ? Vénale ? Amoureuse irraisonnable ? Sans savoir démêler le vrai du faux, le lecteur avance dans l'intrigue dont il connaît la fin. C'est là aussi la force de ce roman : le lecteur se moque de connaître la vérité, et peu importe le dénouement final puisque la narratrice le dit elle-même "c'est comme si cette histoire était arrivée à une autre".

L'ambiance est glauque, un peu écoeurante, et l'on referme la dernière page essoufflé, embarrassé, avec ce sentiment d'avoir été le voyeur d'une histoire que l'on ne comprendra pas entièrement.

Sévère, de Régis Jauffret, éd du Seuil, 2010

lundi 22 mars 2010

Les Aventures d'Olivier Twist, de Charles Dickens



"Comment va ta mère, hospiceux ? dit-il
- Elle est morte, répondit Olivier ; ne te mêle pas de me dire quoique ce soit sur elle !
(...)
- De quoi qu'elle est morte, hospiceux ? demanda Noé.
- D'un coeur brisé, à ce que m'ont dit certaines des vieilles infirmières, répondit Olivier, plutôt comme s'il se parlait à lui-même que s'il s'adressait à Noé. Je crois savoir ce que ce doit être de mourir de ça ! "


Si l'on aime les histoires d'injustice, de misère, de destin qui s'acharne et l'ironie malsaine, alors il y a de fortes chances d'apprécier Les Aventures d'Olivier Twist. Ce petit garçon, tout le monde le connaît. Né dans un faubourg sale de l'Angleterre du XIXème siècle, orphelin, élevé dans un hospice miséreux, affamé, battu, il s'enfuit pour rejoindre Londres où il rebondit de malheurs en malheurs, tout voué qu'il est à faire de mauvaises rencontres. Cependant, on se doute que l'arrivée de Monsieur Brownlow dans la vie de ce jeune héros lui apportera une fin plus heureuse.

Le ton du roman, loin d'être simplement misérabiliste, joue sur un style ironique et un recul narratif, au travers desquels le lecteur est pris en aparté par un Dickens qui s'amuse à dérouler les aventures du pauvre Olivier avec une jubilation malsaine. On a du mal au bout d'un moment à s'investir dans l'histoire, avec ces rebondissements à répétition et des personnages peu attachants. De plus, les relents d'antisémitisme et une conception très manichéenne des personnages gâchent un plaisir déjà diffus.

Le style a indéniablement vieilli, et lorsque l'on termine le livre, on ne peut s'empêcher de penser que Les Aventures d'Olivier Twist fait partie de ces classiques démodés.


Les aventures d'Olivier Twist, de Charles Dickens, 1839

mardi 2 mars 2010

Malavita, de Tonino Benacquista




"Le mot que je déteste le plus c'est "repenti". On me traite de repenti, je tire à vue."



Une histoire de maffiosos New-Yorkais repentis installés dans le petit village de Cholong-sur-Avre en Normandie ? Le pitch est alléchant.
La famille Blake, Fred le père écrivain, Maggie la mère investie dans des oeuvres caritatives, Belle la fille si fidèle à son prénom et Warren l'adolescent composent à première vue une famille américaine comme les autres. Ils savent en un rien de temps s'attirer la sympathie du village dans lequel ils viennent de s'installer. Mais les apparences sont souvent trompeuses, et le lecteur découvre vite que Fred n'est autre que Giovanni Manzoni, l'un des parrains repentis de la mafia new-yorkaise. Suite à sa trahison, il a l'ensemble de la pègre à ses trousses et il se terre en France avec sa famille, sous la surveillance d'agents du FBI désabusés.

Tonino Benacquista nous propose avec Malavita un beau scénario, au rythme soutenu et aux personnages amusants. On sent derrière cette écriture légère et très facile à lire la patte du scénariste et ce livre est en effet très proche du cinéma.
C'est peut-être justement à cause de ce style que le lecteur a parfois du mal à prendre l'histoire au sérieux. On suit avec plaisir les tribulations des personnages, mais les aspects parfois caricaturaux et le manque de profondeur fait que Malavita reste un divertissement, rien de plus sérieux. Mais on ne lui en demande pas forcément plus.

Malavita, de Tonino Benacquista, éd Gallimard, 2004

mercredi 3 février 2010

La confusion des sentiments, de Stefan Zweig



"Quant à moi je ne pouvais pas bouger, j'étais comme frappé au coeur. Passionné et capable seulement de saisir les choses d'une manière passionnée, dans l'élan fougueux de tous mes sens, je venais pour la première fois de me sentir conquis par un maître, par un homme ; je venais de subir l'ascendant d'une puissance devant laquelle c'était un devoir absolu et une volupté de s'incliner."



Il est de ces titres de livres qui suscitent directement l'admiration. La confusion des sentiments. En trois mots, Stephan Zweig nous plonge sans détour dans le vif du sujet. Doutes, tourmente, souffrance, délectation, désir : la ronde capricieuse des sentiments est décrite dans ce court roman avec une précision, un réalisme et une sensibilité remarquables.

L'histoire est celle d'un vieux professeur, R. de V. qui au soir de sa vie revient sur sa jeunesse et la rencontre décisive qui bouleversa son existence. Celle qu'il eut tout jeune étudiant à l'université avec un professeur fascinant, son "maître", qui le plongea dans les affres de la création et de la connaissance. Cet homme érudit, passionné, excellent professeur, cache cependant un lourd secret. Le jeune R. de V. tente de le mettre à jour et ce faisant se confronte aux sentiments les plus conflictuels qui puissent être donnés à l'aube de sa vie d'homme.

Stephan Zweig a un réel talent pour décrypter avec méticulosité la naissance des sentiments, l'obsession, la vénération. Il sait effleurer avec finesse les tabous, les choses cachées, ces sentiments à peine ressentis qu'ils s'envolent et laissent seulement une trace derrière eux, telle la fumée qui trahit le feu qui brûle. On ne peut que saluer l'intelligence avec laquelle il traite d'un sujet réellement audacieux pour son époque. L'homosexualité est ainsi devinée en filigrane tout au long du livre, mais avec une profonde telle délicatesse et vérité.

On a cependant parfois des difficultés à comprendre les élans excessifs du jeune garçon, son attitude de jeune vierge énamourée, et on est souvent dérouté par les proportions que peuvent prendre ses réactions. Il y a peut être un décalage entre l'époque de l'histoire et celle du lecteur, qui fait que l'on a souvent du mal à réellement se sentir concerné par les affres du narrateur. Si pour certains l'absence de rationalisation dans les histoires de Zweig constitue son point fort, il est pour moi clairement une faiblesse dans ce récit.
Par ailleurs, on a souvent l'impression que la traduction trahit le lyrisme original des mots allemands pour former des phrases à rallonge. Le résultat quelque peu pompeux du passage de la langue allemande à la langue française n'est pas forcément des plus heureux.
Mais la fin du récit est plutôt magistrale dans son genre : le dénouement et toute la passion, le trouble et la souffrance qu'il porte est admirable. On y retrouve avec fébrilité les questions du poids de la société et de la morale, du regard des autres, et de la difficulté de vivre dans le secret.

Quant à l'histoire, elle met avec brio le doigt sur l'ambiguïté d'une relation entre hommes, s'interrogeant sur les pulsions, et l'ambivalence de la relation maître/élève. On frôle les hautes sphères de la création intellectuelle, celles dans lesquelles les esprits se retrouvent et où les corps sont frustrés de ne pouvoir connaître une telle fusion.

La confusion des sentiments, de Stefan Zweig, éd Le livre de poche, 1927

mercredi 20 janvier 2010

Truismes, de Marie Darrieussecq



"De ma splendeur ancienne, tout ou presque avait disparu. La peau de mon dos était rouge, velue, et il y avait ces étranges taches grisâtres qui s'arrondissaient le long de l'échine. Mes cuisses si fermes et si bien galbées autrefois s'effondraient sous un amas de cellulite. Mon derrière était gros et lisse comme un énorme bourgeon. J'avais aussi de la cellulite sur le ventre, mais une drôle de cellulite, à la fois pendante et tendineuse. Et là, dans le miroir, j'ai vu ce que je ne voulais pas voir."


"Truisme n.m (angl. truism, de true, vrai). Vérité d'évidence, banale, sans portée."
Le titre ne nous dit pas grand chose de la suite de l'histoire, au mieux il nous égare, au pire il nous laisse supposer que l'on va assister à une fable qui va nous ouvrir les yeux sur des évidences, un cliché géant qui qui va nous révéler ce que nous savons déjà.
On apprend bien des choses dans ce livre. Mais Truismes est tout sauf banal, et loin d'être une "vérité tellement évidente qu'elle ne valait pas la peine d'être dite". Bien au contraire, tout y est récit et surprises. On y voit du dégoûtant, du drôle, de l'ironique, de l'absurde, du pornographique, le tout énoncé dans un style jubilatoire, violent, toujours énergique et rythmé.

L'histoire, tout le monde la connaît, n'oublions pas que Truismes, premier roman de Marie Darrieussecq, a été publié en 1996 et a connu un immense succès. Une jeune femme se transforme peu à peu en truie, faisant la description des métamorphoses qu'elle subit au quotidien. Il faut dire que dès le début elle n'est pas gâtée par la vie : pauvre, stupide, mal-aimée, et d'une immense naïveté, elle travaille dans une parfumerie qu'elle trouve "chic" et vend son corps à des hommes mais ne s'abaisserait pas à se faire payer pour ses "massages" pour autant. "Mes massages avaient le plus grand succès, je crois même que le directeur de la chaîne soupçonnait que je m'étais mise de ma propre initiative aux massages spéciaux, alors que normalement on laisse un peu de temps à la vendeuse avant de l'y inciter."

On ne peut qu'être impressionné face à ce premier roman, plein d'imagination, que l'on lit d'un seul trait, comme porté par l'élan de la narration. Marie Darrieussecq dissèque avec une écriture incisive et audacieuse le rapport au corps, avec des descriptions sensorielle qui atteignent parfois une véritable perfection dans le réalisme. "Je me suis allongée dans la flaque et j'ai étiré les pattes, ça m'a fait un bien fou aux articulations. Ensuite je me suis roulée plusieurs fois dedans, c'était délicieux, ça faisait du frais sur ma peau irritée et ça détendait tous mes muscles, ça me massait le dos et les hanches. Je me suis à moitié assoupie. J'étais toute parfumée à la boue et à l'humus (...)"
La métamorphose du corps, la relation entre animalité et humanité sont ici ambiguës. La narratrice, dans sa confondante naïveté, reprend en effet du poil de la bête au fur et à mesure des modifications de son corps : elle devient de plus en plus maîtresse d'elle-même jusqu'à se retourner violemment à la fin contre ceux qui ont abusé d'elle. Son statut de truie la force à réfléchir, même si, et c'est ce qui surprend le lecteur, elle accepte sans lutte véritable sa métamorphose, trop peu habituée à se révolter contre le mauvais sort.

Le style paillard, la candeur presque niaise de la narration, et les distorsions du réel vers des éléments quasi fantastiques créent un décalage tout à fait surprenant et entraînant entre l'absurde et le réalisme.
Avec Truismes, Marie Darrieusecq flirte avec la parodie, entre sa fable politique, ses élans de féminisme et la dénonciation d'une société résolument phalocrate, où la femme n'a pas la maîtrise de son corps et ramasse les miettes de sa dignité du bout de son groin...

Truismes, de Marie Darrieussecq, éd P.O.L, 1996

mercredi 13 janvier 2010

L'étrange histoire de Benjamin Button, de Francis Scott Fitzgerald




"Mr Button suivit des yeux le doigt pointé, et voici ce qu'il vit. Enroulé dans une volumineuse couverture blanche, et partiellement enfoncé dans l'un des berceaux, un homme âgé de quelque soixante-dix ans se tenait assis. Ses cheveux rares étaient presque blancs et une longue barbe grise lui pendait au menton, agitée d'une ondulation absurde par la brise qui venait de la fenêtre "


L'idée de départ est de celles tellement évidentes qu'on se demande pourquoi personne ne l'a exploitée plus tôt.
Et si l'on naissait sous la forme d'un vieillard de 70 ans pour tout au long de notre vie "rajeunir"? Finir notre vie en toute beauté, dans la fraîcheur de nos vingt ans, avec l'expérience et la sagesse du temps passé...
Francis Scott Fitzgerald s'attaque avec une fausse légèreté mais une vraie ironie à ce sujet, en nous racontant l'étrange destin de Benjamin Button.
Lorsque Benjamin naît, il a les traits d'un vieillard ridé et barbu, au cheveu manquant, et est plus intéressé par un bon cigare que part un biberon de lait chaud. Stupeur et scandale dans la famille bourgeoise de Baltimore dont il est issu. Sur les quelques cinquante pages de la nouvelle, on va voir évoluer ce personnage hors du commun, qui est confronté à l'incompréhension, aux moqueries et à la cruauté du monde face à la différence.

Fitzgerald traite la question avec un style presque désinvolte, loin du mélodrame de l'adaptation cinématographique de David Fincher. On a cependant du mal à s'attacher aux personnages, trop superficiellement brossés, sans réelle profondeur ni relief. Benjamin lui-même peut être parfois détestable, imbu de lui même, en particulier lorsque son corps retrouve fougue et séduction. Mais il est difficile de lui en faire des reproches...

L'histoire reste fascinante, soulevant une réflexion intéressante sur la mémoire, les souvenirs, et ce qui construit notre identité.
Les réactions provoquées par la situation plus qu'étrange de Benjamin Button ne sont pas sans ironie et burlesque : les membres de sa famille plongés en pleine incompréhension face à sa différence, usent tour à tour de méchanceté, du déni, ou encore reprochent à Benjamin de ne rien faire pour enrayer l'absurdité de son rajeunissement. Une attitude cruellement amusante qui rappelle l'absurdité de l'homme face à la différence

Cette nouvelle est issue du recueil Les enfants du Jazz.

L'étrange histoire de Benjamin Button, de Francis Scott Fitzgerald, ed Folio, 1922

dimanche 10 janvier 2010

Et que le vaste monde poursuive sa course folle, de Colum McCann



"On sait rarement ce qu'on va entendre quand on l'entend pour la première fois, mais une chose est sûre : on ne l'entendra plus jamais pareil. Nous essayons sans doute de revivre le moment, sans vraiment le retrouver. Il ne reste qu'un souvenir, l'empreinte émoussée de ce qui était, de ce que cela signifiait"


Et que le vaste monde poursuive sa course folle est un roman choral, qui vibre sous le poids de tout le malheur et l'espoir de sa ronde de personnages.
Colum McCann y brosse le portrait du New York des années 1970 au travers de destins qui se croisent, d'histoires noires, injustes, violentes et belles, qui tracent en filigranes celui d'une époque transitionnelle. Le fin de l'ère hippie, la guerre du Vietnam, les élans de liberté et la misère noire des plus humbles.

La course folle, c'est celle de tous vers la liberté, contre le fatalisme, contre le vide juste ici, juste en bas, au fond du gouffre.
On entre dans les bas fonds du Bronx qui sentent le foutre et la misère noire, un appartement léché de Park Avenue, une cabane dans la campagne new yorkaise, les couloirs du métro : c'est partout le même malaise, la difficulté de vivre avec ses désillusions. L'auteur est très doué pour nous montrer ce désenchantement, celui que la vie nous réserve, le poids du renoncement qui nous encombre et nous freine jusqu'à nous immobiliser. Putes épuisées, mères endeuillées, prêtre des rues, junkies aux yeux vides, juge brassant la détresse à coup de procès : chacun est entraîné dans une course folle qui les dépasse.

Mais au dessus d'eux et comme fil conducteur, il y a ce funambule qui un beau matin d'été décide de lancer un câble entre les deux tours du world trade center, et de traverser ce vide vertigineux sur un fil. Cet homme, c'est le symbole de la folie positive, de la légèreté. Il est l'instant de poésie figée, qui justifie le reste, et dit qu'une autre issue est possible.

C'est avec un style incroyablement vivant et un talent fou pour restituer une ambiance, une époque entière, que l'auteur nous plonge dans les entrailles de la ville et les esprits de sa galerie de personnages. Le lecteur est pris dans la bousculade, suspendu à l'écriture haletante, faite d'élans et de vertiges.

Reste une fin un peu trop optimiste à mon goût : on s'attend à quelque chose de plus noir, de plus sombre. Mais on ne peut pas en vouloir à l'auteur d'ouvrir une porte après nous avoir traîné pendant plus de 400 pages dans la merde noire et puante de New York.

Certains personnages également, s'ils sont dépeints avec une précision virtuose, ne trouvent pas forcément leur place dans l'histoire. Comme ce jeune photographe qui se veut témoin des premiers tags qui fleurissent dans les couloirs du métro New Yorkais. S'il a le mérite de nous plonger dans l'identité profonde de la ville, le chapitre qui lui est consacré me semble être peu opportun par rapport au fil du récit.

Mais la polyphonie du roman est ce qui en fait sa force, ce qui le rend si touchant et palpitant.

On trouve enfin des accents prophétiques qui ajoutent à l'effervescence du livre : l'avènement des nouvelles technologies, la quête de mysticisme au delà de la religion, la soif de libertés, l'Amérique en guerre et ses familles orphelines, la naissance de l'art de rues dans les couloirs du métro, et New York dans son éternelle folie urbaine et humaine.

Et que le vaste monde poursuive sa course folle, de Colum McCann, ed Belfond, 2009

lundi 28 décembre 2009

Faire l'amour, de Jean-Philippe Toussaint



"C'est l'histoire d'une rupture amoureuse, une nuit, à Tokyo. C'est la nuit où nous avons fait l'amour ensemble pour la dernière fois. Mais combien de fois avons-nous fait l'amour ensemble pour la dernière fois ? Je ne sais pas, souvent."


Comment se détache-t-on de la personne aimée lorsque l'amour ne suffit plus ? Comment quitte-t-on le corps qui nous fait jouir alors qu'il nous est aussi familier que notre propre corps ?

Avec son écriture crue et froide Jean-Philippe Toussaint nous donne des pistes de réponse, sans concession mais avec une poésie mordante, profonde, violente.
Faire l'amour, c'est l'histoire du narrateur qui aime Marie, mais qui ne peut plus l'aimer. Il se retrouve avec elle à Tokyo, là où ils feront l'amour pour la dernière fois, dans la suite d'un hôtel de luxe. C'est donc l'histoire d'une rupture, avec tout ce qu'elle comporte de logiquement douloureux, mais aussi d'absurde et de poétique.
Le théâtre de leur dernière nuit est parfaitement décrit, Tokyo la ville résolument contemporaine, presque inhumaine mais vivante, organique, haute et froide. Elle est à la fois menaçante et enveloppante. Dans sa certitude elle est une alternative à la relation qui s'effiloche et qui fait mal.
Tokyo c'est également les tremblements de terre, qui terrifient, menacent les êtres et les rapprochent. Jean-Philippe Toussaint joue avec ces symboles : pluie, neige, terre instable, les éléments s'accordent pour refroidir, endormir, aviver et dramatiser cette dernière nuit d'amour
Toute l'histoire est éclairée par la lumière froide d'un néon, avec une précision mécanique, que l'on retrouve dans l'utilisation de répétitions à bon escient, qui nous permettent de comprendre l'incertitude et les errances du narrateur, sa dureté et ses pulsions (de départ, de mort, de destructions, de sexe).
Il y a là aussi des moments de pure beauté, un regard sur l'autre, sur soi, sur la disparition et le repli absolument bouleversants.

Faire l'amour, Jean-Philippe Toussaint, ed de Minuit, 2002