dimanche 10 janvier 2010

Et que le vaste monde poursuive sa course folle, de Colum McCann



"On sait rarement ce qu'on va entendre quand on l'entend pour la première fois, mais une chose est sûre : on ne l'entendra plus jamais pareil. Nous essayons sans doute de revivre le moment, sans vraiment le retrouver. Il ne reste qu'un souvenir, l'empreinte émoussée de ce qui était, de ce que cela signifiait"


Et que le vaste monde poursuive sa course folle est un roman choral, qui vibre sous le poids de tout le malheur et l'espoir de sa ronde de personnages.
Colum McCann y brosse le portrait du New York des années 1970 au travers de destins qui se croisent, d'histoires noires, injustes, violentes et belles, qui tracent en filigranes celui d'une époque transitionnelle. Le fin de l'ère hippie, la guerre du Vietnam, les élans de liberté et la misère noire des plus humbles.

La course folle, c'est celle de tous vers la liberté, contre le fatalisme, contre le vide juste ici, juste en bas, au fond du gouffre.
On entre dans les bas fonds du Bronx qui sentent le foutre et la misère noire, un appartement léché de Park Avenue, une cabane dans la campagne new yorkaise, les couloirs du métro : c'est partout le même malaise, la difficulté de vivre avec ses désillusions. L'auteur est très doué pour nous montrer ce désenchantement, celui que la vie nous réserve, le poids du renoncement qui nous encombre et nous freine jusqu'à nous immobiliser. Putes épuisées, mères endeuillées, prêtre des rues, junkies aux yeux vides, juge brassant la détresse à coup de procès : chacun est entraîné dans une course folle qui les dépasse.

Mais au dessus d'eux et comme fil conducteur, il y a ce funambule qui un beau matin d'été décide de lancer un câble entre les deux tours du world trade center, et de traverser ce vide vertigineux sur un fil. Cet homme, c'est le symbole de la folie positive, de la légèreté. Il est l'instant de poésie figée, qui justifie le reste, et dit qu'une autre issue est possible.

C'est avec un style incroyablement vivant et un talent fou pour restituer une ambiance, une époque entière, que l'auteur nous plonge dans les entrailles de la ville et les esprits de sa galerie de personnages. Le lecteur est pris dans la bousculade, suspendu à l'écriture haletante, faite d'élans et de vertiges.

Reste une fin un peu trop optimiste à mon goût : on s'attend à quelque chose de plus noir, de plus sombre. Mais on ne peut pas en vouloir à l'auteur d'ouvrir une porte après nous avoir traîné pendant plus de 400 pages dans la merde noire et puante de New York.

Certains personnages également, s'ils sont dépeints avec une précision virtuose, ne trouvent pas forcément leur place dans l'histoire. Comme ce jeune photographe qui se veut témoin des premiers tags qui fleurissent dans les couloirs du métro New Yorkais. S'il a le mérite de nous plonger dans l'identité profonde de la ville, le chapitre qui lui est consacré me semble être peu opportun par rapport au fil du récit.

Mais la polyphonie du roman est ce qui en fait sa force, ce qui le rend si touchant et palpitant.

On trouve enfin des accents prophétiques qui ajoutent à l'effervescence du livre : l'avènement des nouvelles technologies, la quête de mysticisme au delà de la religion, la soif de libertés, l'Amérique en guerre et ses familles orphelines, la naissance de l'art de rues dans les couloirs du métro, et New York dans son éternelle folie urbaine et humaine.

Et que le vaste monde poursuive sa course folle, de Colum McCann, ed Belfond, 2009

1 commentaire:

  1. J'ai beaucoup aimé aussi ce livre qui a pourtant désarçonné plus d'un lecteur!

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